1 | Nouna

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Australie-Occidentale,

Mauvaise journée. Voilà ce qui ne cessait de tourner en boucle dans ma tête depuis ce matin. Je retirai le gant remontant jusqu'à mon épaule et le balançai dans le saut prévu à cet usage. Je passai ma peau au peigne fin pour être sûre qu'un peu de matière fécale ne se soit pas invité et je me reniflai au passage. Petite déformation professionnelle.

Je resserrai le nœud à ma taille pour ne pas finir en petite culotte devant Sam, qui se tenait derrière moi, les mains dans les poches, la mine lugubre.

C'était le troisième veau qu'il perdait en l'espace de quelques jours et bien que nous arrivions à sauver les mères à chaque fois, ça restait un cruel manque à gagner pour lui. Ses animaux restaient le gagne-pain des éleveurs locaux alors chaque perte ne présageait que des problèmes à long terme. Le vêlage pouvait se passer sans anicroche, mais parfois, quand la mise bas prenait trop de temps, le placenta se détachait et alors, le veau manquait d'oxygène et finissait par mourir avant même son premier souffle.

Alors ouais, putain de mauvaise journée.

— Te mine pas trop pour ça, lâcha Sam avec un haussement d'épaules.

Je rangeai mon matériel dans ma mallette d'urgence et m'étalai de la crème sur les mains, juste pour ne pas subir les relents de la merde toute la journée. Je me tournai vers le fermier et l'observai un instant. Sam avait repris l'exploitation de son père quelques années plus tôt. Jeune, mais foutrement expérimenté, il devait gérer l'après-guerre. Comme à peu près tout le monde. À la différence près que lui s'était réveillé d'un long sommeil en ayant eu l'impression que ce n'était qu'une petite sieste. Tout comme ses bêtes.

— Le troupeau va mal, Sam, avouai-je. La plupart de tes vaches ne mettront plus bas avant au moins l'année prochaine et la pneumonie qui sévit dans le coin aura raison du bétail si les médocs ne font rien.

Pourtant, je n'avais pas lésiné sur le cocktail administré, mais rien à y faire. Le brutal changement de température avait toujours raison des fermes à cette époque de l'année. Et parfois, malgré tous les efforts, on faisait face à une hécatombe. Heureusement, dans ce coin de pays, nous n'avions pas à craindre une quelconque inondation après une sécheresse paralysante. Nous n'étions pas privilégiés pour autant, loin de là.

— J'ai de quoi tenir, répondit-il. Et si j'dois abattre toutes mes bêtes, c'est qui s'ra temps que je pense à une reconversion.

Mouais. On pouvait dire ce qu'on voulait sur le fait de trimer pour son métier, Sam faisait partie des indéfectibles ; ceux qui ne vivaient que pour leur élevage. Je ne souhaitais pas qu'il en arrive à devoir enterrer ou cramer toutes ses bêtes, mais le choix ne lui serait peut-être pad donné.

— Comment ça se passe de l'autre côté ?

Je soupirai, fatiguée alors qu'il n'était même pas encore quinze heures. J'enchaînai les visites depuis l'ouverture de la clinique et je croisai les doigts pour qu'aucune urgence ne vienne interrompre les funérailles. Mais avec mon karma, je n'y croyais pas trop.

— Pas mieux qu'ailleurs, dis-je.

Ni un mensonge ni l'entière vérité. Sam devait gérer sa propre merde avant de penser à celle des autres. Je refermai mon coffre et me glissai sur le siège côté conducteur de ma vieille Jeep. Sam s'avança :

— Ménage-toi un peu. On a trop besoin de toi dans le coin, tu sais ?

Je lui offris un pauvre sourire et après un dernier geste, il retourna à l'intérieur de l'étable. J'attrapai ma radio :

— Unité mobile à Pearl.

Le grésillement crachota un peu et la voix de Pearl résonna dans l'habitacle.

LES MAINS DE POUVOIR Tome 2 Fragmented Désire [Terminée]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant