Chapitre 4

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Notes :

I don't think you understand.
There's nowhere left to run
Walls keep breaking
Time is like a leaf in the wind.
Either it's time well spent,
Or time I've wasted
Don't waste it

          — Telescope, Cage the Elephant


La télévision du salon diffusait une comédie, l'écran projettait sa clarté dans la pénombre de la pièce; il était plus de vingt-trois heures, Ayumi riait tant dans ses bras qu'il s'en amusait plus que de l'émission qu'ils regardaient.

Les nuits d'été étaient parfois suffocantes, celle-là ne fit pas exception; les fenêtres restaient grandes ouvertes, laissaient les réverbères du trottoir d'en face refléter sur les murs la lumière des rétroviseurs des voitures qui passaient.

La largeur du canapé leur permettait d'être à l'aise; Suguru, derrière elle, s'accoudait à l'extrémité du sofa tandis qu'elle s'allongeait au cœur de son corps. Il lui suffisait de se pencher pour embrasser le haut de son crâne s'il le voulait.

Ayumi ce soir-là portait un débardeur qui lui collait à la peau, les fines bretelles flattaient la minceur de ses épaules, et il lui était difficile de lutter contre l'envie de caresser la lingerie qu'elle portait en bas. Il y résista toutefois; son bras entourait sa taille, et la berçait parfois.

La journée avait été moins rythmée, plus simple à supporter. Peut-être qu'aller au Sakenoana la veille avait été une bonne idée, après tout; il en était sorti plus détendu, plus patient. Même y rester une heure, pour discuter; il avait oublié ce que ça lui procurait.

Ayumi rit à nouveau, captivée par l'écran et bon public; perdu dans ses pensées, il avait arrêté d'écouter. Sa voix le ramena à l'instant présent.

"Tu dors ?" Dit-elle soudain, se rendant compte qu'il était effacé.

Il bougea à sa demande, resserra l'étreinte de son bras.

"Non, je réfléchis."

Elle prit quelques secondes pour se tourner et lui faire face, allongée. Suguru, lui, portait un sous-vêtement seulement; un t-shirt, quel qu'il soit, lui aurait donné l'impression d'étouffer.

Elle se retrouva nez à nez avec l'épaisseur de ses pectoraux, et s'en amusa. Suguru s'était mis au sport en début d'année, et son corps changeait au fil des semaines en quelque chose qu'elle connaissait moins.

"À quoi ?" Elle demanda, puis plongea un doigt dans l'un d'eux. On aurait dit qu'elle en testait la mollesse, surprenante, au repos.

La main de Suguru voyagea sur sa hanche alors qu'il l'observait, la tête appuyée contre sa main.

Devait-il lui en parler ? Il craignait qu'elle ne se sente responsable de son épuisement ces derniers temps, qu'elle ne retienne que de sa réflexion que s'éloigner d'elle lui permettait de souffler.

"À hier soir."

"Au bar ?" Rétorqua-t-elle sans le regarder, concentrée sur son muscle qu'elle tâtait avec un peu plus d'entrain, comme pour l'estimer.

Il replaça une mèche de ses cheveux châtains, appuya son silence malgré lui. Ils étaient doux, encore frais et humides de la douche qu'elle avait prise.

"Ça m'a fait du bien de les revoir."

Elle pressa la paume de sa main contre son pectoral, semblant plonger un peu plus dans la contemplation et ses pensées. Derrière, la télévision parlait au silence, les rires de spectateurs ajoutés au montage après chaque plaisanterie fusaient dans la pièce.

Ayumi réfléchit elle aussi, du coup; s'il était évident qu'elle avait remarqué la fatigue de l'homme qu'elle aimait ces derniers temps, elle le montrait difficilement. Suguru n'avait jamais été de ceux qui partageaient leurs ressentis.

Quand il le faisait, alors, elle peinait à réagir; peur de mal agir, de faire pire, ou pas assez. La pensée de Suguru s'amusant avec des amis lui arracha un sourire; elle se décida à glisser la main sur sa taille, puis dans son dos, et se blottit contre lui.

"Tu devrais y retourner plus souvent."

Il n'attendait pas son accord en particulier. D'ailleurs, il n'en avait pas besoin, mais son approbation lui apporta le confort qu'il cherchait.

C'était comme s'ils avaient des centaines de choses à s'avouer, ces temps-ci; l'éloignement émotionnel qui en résultait devenait difficile à gérer, les aveux n'arrivaient pas, les mots n'étaient pas prononcés.

Alors ils en disaient d'autres, mais qui peinaient à cacher ce qui les préoccupait. C'était sûrement ce pourquoi ils tentaient autant de rester liés physiquement.

Les silences comme celui-là n'étaient pas reposants; il leur semblait chaque fois que flottaient autour d'eux les questions d'un sujet trop souvent ignoré.

"On a pas discuté, la dernière fois," lança Ayumi tout bas, la joue contre le buste de Suguru.

Il savait ce à quoi elle pensait depuis trois bonnes minutes déjà. Le futur, l'avenir à deux, l'avenir à trois.

"Je sais," Geto rétorqua, laissa la fin de sa phrase en suspens.

Ayumi voulait un enfant. Elle en parlait depuis des mois. Avec l'emménagement qui se finalisait, Suguru n'avait pas pris le temps d'y penser. L'occasion d'en parler se présentait rarement; si leurs emplois du temps le permettaient parfois, l'un ou l'autre fuyait la conversation de toute façon.

Ayumi inspira et souffla longuement.

"On n'en a pas parlé hier," elle osa. Suguru comprit qu'il n'avait aucune envie d'aborder la question; il lui prenait chaque fois une sorte d'angoisse, la poitrine tiraillée, l'impression de ne pas avoir le choix. Les mêmes interrogations venaient chaque fois. Souhaitait-il vraiment cette vie là ?

Et s'ils attendaient, une année, ou deux; est-ce qu'après trente ans, c'est tard pour avoir un enfant ?

"Est-ce que t'as réfléchi ?" Elle ajouta.

Le regard perdu sur le corps qu'elle tenait contre elle, elle finit par comprendre qu'il n'y répondrait pas.

SakenoanaHikayelerin yaşadığı yer. Şimdi keşfedin