Chapitre 5

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Notes :

Was it the simple things
that made me so crazy about you?
Was it your charm or your passion?

— Forget Me Nots - Remastered, Patrice Rushen


Apercevoir Suguru Geto franchir l'entrée du bar ce dimanche-là pimenta le cours de sa journée, il fallait l'avouer. Et s'il fallait passer aux confidences, Satoru les hurlerait; rares étaient les hommes qui lui faisaient tant d'effet.

Suguru, imaginez, sortait d'une séance de sport, portait un tee-shirt qui lui collait à la peau, un short long par dessus un autre short de compression. Ses baskets apportaient une touche de blanc, ses cheveux étaient attachés. Il lui parut plus jeune, décontracté tandis qu'il s'avançait vers le bar, main dans une poche, et sembla le reconnaître aussitôt.

"Encore toi ? On est dimanche, t'es pas en repos ?" Suguru lança, et Satoru nota les écarteurs, noirs, qu'il n'avait pas remarqué la dernière fois.

Il apprécia la manière dont son visage était dégagé; il avait tout à observer. Il lui fut d'ailleurs difficile de ne pas baisser les yeux plus bas: la manière dont son haut laissait entrevoir la saillie des pectoraux ne laissait que peu de place à l'imagination.

"Je voulais pas te rater," il rétorqua, le sourire entendeur tandis qu'il préparait un cocktail orangé, "je finis dans une demie heure, t'aurais dû venir plus tôt."

Suguru ne cacha pas sa surprise et en rit légèrement; était-il toujours aussi franc ?

"Ok," Geto tenta de garder la face, et puisqu'il n'avait aucune idée de comment il avait mis les pieds dans une discussion comme celle-là, décida de s'en amuser plus qu'autre chose; "tu dis ça à tous tes clients ?"

Lui portait une chemise blanche près du corps, le même pantalon que l'autre fois. Son col déboutonné laissait entrevoir la pureté de sa peau, si pâle qu'elle rappelait la teinte de ses cheveux.

Suguru l'avoua; qui que l'on soit, des yeux comme ceux-là intimidaient, perturbaient; sans lunettes pour les cacher, on aurait dit que les cieux s'y concentraient.

"Oh, tu sais," il balaya l'air d'une main, concentré dans le personnage qu'il surjouait, "seulement à ceux qui ont de longs cheveux noirs, de beaux yeux..."

Suguru grimaça.

"Trop direct."

Satoru rit franchement en déposant le verre qu'il venait de préparer sur le plateau rond qu'il s'apprêtait à servir, et reprit son sérieux.

"Dommage. Qu'est-ce que je te sers ?"

"Comme la dernière fois."

Il attrapa une bouteille, fit mine de le regarder par-dessus les lunettes qu'il ne portait pas.

"J'ai visé juste, on dirait."

"Il faut croire," Geto rétorqua, s'accouda au bar mais resta debout tandis qu'il s'attelait à trouver la carte bancaire dans son porte-feuilles, "t'as déjà été barman avant ?"

"Jamais, " il commença, concentré dans la dose de thé matcha qu'il mettait et, sur le ton de l'humour, continua; "j'étais surveillant dans un lycée y'a deux mois, prof particulier l'année dernière... Qui sait ce que je ferai demain. C'est pas simple de trouver sa voie."

"T'es jeune, non ? T'as le temps de te tromper."

"Pas toi ?"

Son regard croisa le sien. Suguru pensa à Ayumi, à tout ce qu'ils se devaient de décider, tout ce qui leur était incertain.

Il n'aurait pas été capable d'y penser lui-même; avait-il le temps de se tromper ? Si c'était le cas, pourrait-on le pardonner ? L'impression que le temps pressait ne l'aidait pas.

Il réalisa soudain qu'il y voyait un sous-entendu là où il n'y en avait pas; Satoru lui demandait son âge, ou tentait d'engager la conversation.

"Trente ans c'est tard," répondit-il finalement, le ton léger, "à trente ans, normalement, t'achètes un appartement, tu te demandes si tu veux des enfants... Fallait se tromper avant."

"C'est déprimant."

Suguru s'en amusa.

"Tu verras," il rétorqua, et sa réponse sembla amuser son interlocuteur tout autant; il pinça une feuille de menthe avec la même habileté, la glissa entre deux glaçons en se sachant observé.

"L'appartement peut-être, l'enfant y'a aucun risque."

Satoru, visiblement, était doué pour saisir les occasions. Sa main semblait attendre quelque chose, tendue par-dessus le bar à côté du cocktail qu'il venait de poser. Son regard appuyait ses dires, semblait lui dire qu'il s'agissait exactement de ce qu'il pensait comprendre; si ses avances étaient encore ambiguës, son orientation sexuelle ne l'était plus.

"Ta carte, Suguru," il ajouta, voyant qu'il ne réagissait pas.

"Ah," Geto lança et lui glissa entre les doigts. Un rire soufflé lui échappa, être pris de court à ce point ne lui ressemblait pas. L'autre le remercia, reporta son attention sur le terminal de paiement et lui tendit avec sa carte dedans.

"Sinon, j'ai vingt-et-un ans," Satoru plongea une paille colorée dans le verre face à eux, "pour répondre à ta question."

L'information lui sauta à l'esprit tandis qu'il tapait le code machinalement; Suguru n'était pas naïf, se savait attractif et en jouait parfois; se faire aborder n'était pas si rare que ça.

Plaire à un homme, pour changer, le surprenait. L'amusait, surtout; il lui était difficile de démêler questions et sentiments, mais ses avances le flattaient. Rien de plus cependant; à vingt-et-un ans, on est encore à moitié adolescent, et trop ignorant pour l'admettre. Satoru, dans toute son extravagance, en était l'exemple parfait. Avec un physique comme le sien, il était certain qu'il en jouait tout autant.

Le lecteur de carte bancaire imprima le reçu au sommet, grinçant légèrement sous leurs yeux. Satoru l'arracha et, l'autre main occupée par le plateau qu'il tenait, lui tendit entre deux doigts.

"Viens plus tôt la prochaine fois."

Sakenoanaحيث تعيش القصص. اكتشف الآن