Chapitre 12

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Notes :

It's always around me, all this noise
Not nearly as loud as the voice
saying
Let it happen
It's gonna feel so good

All the while thinking I might as well
do it
Why would I do it?
They be lovin' someone and I'm not
that stupid

          — Let It Happen - Soulwax Remix, Tame Impala, Soulwax


disclaimer : légère scène érotique



La porte se referma, étouffant derrière eux ce qu'il restait de volume à la musique diffusée à l'intérieur du Sakenoana.

La devanture criait encore son nom par les néons vibrants au-dessus de leurs têtes, aveuglait la noirceur de la nuit tombée. Sur les trottoirs humides, trempés par endroits —Suguru devina qu'une averse s'y était abattue entre temps — des éclats vifs oranges, roses par leur reflet, ondulant à la surface de l'eau écrasée, remuée par la semelle passagère de Satoru.

L'écho de la ville silencieuse flottait aux oreilles, s'étendait à l'infini et amenait avec lui l'apaisement d'un bruit constant, lointain. On entendait, au hasard, une voiture s'éloigner vers une rue quelque part, disparaître progressivement du perceptible. On devinait aux talons sur le bitume, aux voix croissantes, des personnes traverser les routes dépeuplées.

"T'es pété de thune, tu sais ? C'est moi qui devrais taxer."

Suguru acceptait le tabac partagé, sorti du même paquet malmené, plus vide que la veille.

"Si j'en achète moi-même, c'est foutu. Laisse-moi au moins ça," il rétorqua vaguement au ton blagueur de Satoru, s'empressa d'allumer le briquet échangé en titubant.

Les grammes d'alcool engloutissaient les cellules, les neurones; la fraîcheur de la nuit n'y faisait presque rien. L'environnement, pour eux seulement, semblait s'épaissir et s'embrumer, déformer les contours de leurs propres pupilles.

Les informations leur parvenaient avec décalage, si bien que Suguru ne fut pas certain que le briquet s'était allumé malgré la flamme qui menaçait de lui brûler les doigts.

"T'es déjà foutu."

"Je te laisserai un pourboire."

Le plus jeune esquissa un rire, seul. Tous deux savaient que les mots qu'ils se lançaient n'avaient usage que de combler un silence pesant, détendre l'atmosphère et espérer maquiller les débâcles de la soirée.

La chaleur du tabac irrita leurs gorges endolories, embauma un peu plus les esprits. Satoru, que la gêne paralysait beaucoup moins, se permettait d'observer ce qu'il percevait de celle de Suguru face à lui.

Adossé au mur du bar, se tenant plus loin de lui qu'il ne l'avait jamais été — et Satoru jurerait qu'il priait pour s'enfoncer dans la structure derrière lui, disparaître dans les entrailles de la bâtisse pour ne plus en sortir —, Suguru ignorait sa silhouette, pourtant ancrée, parasite dans la vision périphérique: tout était prétexte à son attention qui, flottante, cherchait vainement un autre objet, se perdait sur les façades d'en face.

L'alcool, pourtant, intensifié par le cannabis, réduisait considérablement sa capacité à s'orienter, et puisqu'il était dans un état semblable, Satoru sut qu'il feintait, car il n'y voyait rien lui-même.

"C'est pas si grave, tu sais," dit Satoru, les yeux rivés sur les cendres qu'il faisait tomber, bien qu'il sentit ceux de Suguru revenir à lui.

Le tabac n'était dès lors plus au centre du sujet, et le plus âgé sentit l'anxiété atteindre son paroxysme à l'évocation de ce qu'il espérait taire.

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