Chapitre 21

140 17 3
                                    

Notes :

No matter what the future brings
As time goes by

          一 As Time Goes By, Frank Sinatra

Elle était arrivée. Les cheveux coupés courts, très droits par-dessus les épaules, et elle avait au visage un air plus serein, bien plus apaisé que la dernière fois. Il avait choisi la table la mieux isolée du café, et prié les serveurs qu'on ne les dérange pas.

Le temps avait agi; il leur fut plus simple de se sourire en se rejoignant.

Un mois, ce n'était pas grand chose et à la fois
c'était assez.

Il était temps.

Ayumi voulait des réponses et lui
ne savait pas. Voilà; Suguru ne savait pas s'il voulait quoi que ce soit. Ils avaient cette posture découragée déjà, l'échec alourdissait leurs épaules avant même d'avoir essayé.

La table entre eux était en bois sombre, l'endroit peu rempli; un dimanche matin, si tôt, n'était foulé que par ceux qui n'avaient rien à faire, ou des choses à se dire, et eux les avaient pensées cent fois avant de venir.

Suguru n'avait pas dormi chez Satoru la veille au soir. Le serveur s'éloignait, et elle remettait en place la bretelle de la robe qu'elle portait.

"Ça a été, ta semaine ?"

Ils buvaient en se disant des phrases courtes.

"Ma semaine, ça va, oui."

Suguru, maladroit,

"Je m'inquiétais. Pour les transports, tout ça."

Elle, un peu désarmée; il n'était pas comme elle l'avait imaginé toute la nuit.

"J'ai des trains, ça va. Heureusement."

Ayumi n'avait pas le permis. L'école était bien plus loin de chez sa sœur que de chez lui.

Elle comprit vite qu'un silence planerait si elle se taisait là.

"Et toi, l'agence ?"

Suguru avait cru qu'il ne se calmerait jamais. La veille encore il était agacé par tout et pour tout, imbriqué dans les scénarios délirants qu'il créait pour le lendemain. Il n'avait pas imaginé qu'elle lui inspirerait tant de peine. La haïr lui était plus simple lorsqu'il n'avait plus que l'image d'elle; lorsqu'elle était loin.

"Ça s'est calmé. Enfin."

Il fallait prendre des nouvelles de Fuku le poisson, des collègues qu'on avait vu qu'une seule fois; tout, tout, pourvu qu'on ignore encore un peu plus longtemps ce qui brûle d'être dit depuis des mois.

"Et Hina ?"

Ils parlaient depuis dix minutes déjà.

"Je dors dans la chambre d'amis. Elle est très présente pour moi."

Suguru commençait à penser qu'il ne servait à rien d'être là. Les tweets imaginaires lui revenaient à l'esprit, le frustraient; à croire que sa sœur, exemplaire, la prenait dans ses bras tous les soirs depuis qu'il ne le faisait plus, et était plus louable.

Mais qu'avait-il fait, lui ? Ce jour-là, ces semaines passées, toutes ces années; à quoi avait-il servi ?

Et que pourrait-on se dire ? Elle aussi, a l'impression d'oublier qu'on s'aimait.

"Tu sais, j'ai..."

Elle hésitait enfin. Les tasses de café étaient vides d'avoir dû combler trop de silences.

SakenoanaWhere stories live. Discover now