Chapitre 11

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Notes :

Oh, I cannot explain
Every time it's the same

          - Cheri Cheri Lady, Modern Talking


Le temps passait étrangement, et avec lui s'envolaient les dernières bribes d'anxiété qui l'habitaient.

La téquila y était sûrement pour beaucoup; il fallait dire que le troisième shot, englouti il y a dix minutes à peine, achevait déjà d'assommer ce qu'il restait à Suguru de cellules neuronales saines.

Mais rien d'extrême, rien qui ne lui donnait l'envie de ralentir; tout n'était qu'un peu plus vaporeux, détendu, drôle.

"Pourquoi t'as arrêté ?" Lança Suguru, puisqu'ils en étaient venus à discuter de son passé de professeur particulier.

Satoru, les dents enfoncées dans un quartier de citron, sembla avoir beaucoup à raconter. Il ne grimaçait que peu depuis le deuxième verre qu'il avait avalé; le quatrième venait donc de passer avec une aisance ahurissante.

Il se hâta à poser la tranche de fruit dans la coupelle où reposaient celles qu'ils avaient déjà trop mordues, passa la pulpe de son doigt sur sa lèvre inférieure si gracieusement qu'il échapperait à quiconque qu'une goutte de citron avait manqué de s'en échapper.

"Déjà, ça paye mal," déclara-t-il d'un ton qui insinuait qu'il n'en aurait pas fallu plus pour se justifier.

"Ça commence bien," commenta Suguru, désireux de le joindre dans l'élan anecdotique qu'il surjouait. Quelque chose dans sa manière d'être, de parler, donnait l'envie d'y rétorquer avec la même énergie.

"Attends, la suite est pire," dit-il en lui tendant un regard entendu, et il reprit là où il s'était arrêté.

"J'en ai surtout eu marre des daronnes qui se mettaient à me draguer devant leurs ados."

Suguru pouffa à ces mots, sans savoir si l'appellation l'amusait plus que l'information.

"J'te jure. T'as une idée de ce que c'est que de recevoir un message de Madame Yamamoto un samedi soir ? Alors que t'as expliqué les équations du second degré à sa gosse deux jours plus tôt ?"

Le rire qu'il déclenchait chez les autres semblait alimenter sa gaieté, si bien qu'il paraissait de plus en plus heureux chaque fois qu'il parlait lorsqu'on y réagissait.

"Imagine le malaise quand j'ai dû retourner lui faire cours la semaine d'après."

Et Suguru se prenait au jeu, se surprenait même un peu à affectionner ces yeux guillerets, dans toute la jouvence qu'ils évoquaient lorsqu'ils demandaient satisfaction, validation, et retour de gaieté dans les siens.

"J'arrive pas à croire que t'y sois retourné," renchérit-il, et il fut clair qu'il se moquait ouvertement de la situation alors qu'il versait une fine traînée de sel sur le dos de sa main à nouveau.

"C'étaient les exams de fin de trimestre, je pouvais pas la laisser tomber."

"Et après ?"

"Après ? Y'a eu Madame Saito, et Madame Watanabe. Madame Saito m'a carrément pris à part dans la cuisine. C'était le truc de trop."

"T'aurais dû leur dire que t'étais gay," argua Suguru avant de lécher le sel et pencher la tête en arrière, quatrième verre en main.

Le goût ne manqua pas de faire se tendre les muscles de sa mâchoire, crisper les muqueuses de son œsophage; il en exprima son dégoût oralement, et si Satoru avait raillé ses réactions suite aux trois shots précédents, Suguru remarqua qu'il vaquait plutôt à d'autres pensées qu'il s'apprêtait encore à raconter.

SakenoanaWhere stories live. Discover now