Chapitre 17

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Notes :

She can ruin your faith with her
casual lies
And she only reveals what she
wants you to see
She hides like a child,
But she's always a woman to me

— She's Always a Woman, Billy Joel


Il lui avouerait. C'était décidé.

Peu importait combien de fois il y réfléchissait: lui n'était pas capable d'être malhonnête plus longtemps.

Les dernières heures du week-end avaient été un supplice, il avait appréhendé son retour sans arrêt. L'ascenseur vrombissait faiblement dans toute la bâtisse chaque fois qu'on le prenait; il le découvrait ce jour-là seulement. Chaque claquement de porte, chaque tintement de clés lui tiraillait le cœur sans arrêt.

Il fallait que ça cesse.

Le combat effréné que menaient la rancœur et la culpabilité n'avançait pas. Il lui en voulait, s'en voulait, et ne se sentait mieux d'aucun côté: avoir succombé la nuit d'avant n'avait pas soulagé ses esprits chancelants.

Aux alentours de dix-neuf heures, Suguru comprit qu'il aurait reconnu ses pas de toute façon. Il la reconnut à l'écho lointain du rez-de-chaussée, à l'ascenseur et au bruit constant qu'il produisait en montant.

Lorsqu'il entendit le vacarme des roues de sa valise sur le palier, il était déjà appuyé contre la table de la salle à manger, les bras repliés contre lui.

Elle ouvrit la porte d'entrée, poussa un soupir soulagé en lâchant la valise près du meuble à chaussures. Ses cheveux étaient attachés lâchement, elle portait un short brun qui lui allait à ravir.

"Oh, t'es là," elle remarqua avant de se déchausser, et continua d'une voix légère, "mon téléphone est déchargé, j'ai pas pu te prévenir que je rentrais, désolée."

Essoufflée, elle exprima son soulagement une nouvelle fois.

"Les enfants me lâchaient plus à la gare, à croire qu'ils avaient oublié leurs parents," elle souriait, s'amusait encore de la situation.

"Regarde !" Tout à coup, elle se souvint, fouilla dans le sac en toile pendant à son épaule et s'avança en même temps, "j'ai pensé à toi quand je l'ai vu."

Dans ses mains tenait un petit pingouin en bois; on lui avait peint sur la tête un béret rouge et modelé les deux ailes dressées, comme s'il levait joyeusement les bras.

"Bon, je sais pas trop ce qu'il foutait dans cette boutique là, c'est même pas un souvenir en soit, mais je l'aime bien."

Enfin, elle réalisa ses traits tirés, le sourire qui ne suivait pas. Elle baissa les bras, l'air inquiet.

"Qu'est-ce qu'il y a ?" Son regard chercha réponse dans le sien, détailla tout ce qu'il y voyait.

Il avait passé tant de temps à imaginer son retour, l'air lourd, la tension palpable à travers l'appartement, les regards fuyants. Il l'avait imaginée froide, enragée ou s'excusant, hésitante et honteuse, ou l'ignorant royalement. Il s'était même laissé aller à envisager qu'elle ne rentrerait jamais.

Sa gaieté attrapait ses certitudes à pleines mains, les étripait douloureusement; depuis tout ce temps, était-il le seul à y penser à ce point ? Avait-elle osé vivre son séjour avec légèreté ?

Décontenancé, l'angoisse redoublait; il ne savait appréhender ce qu'elle ferait, après l'aveu, ni où elle irait, si elle partait. L'idée de la regarder préparer une nouvelle valise, en silence, en larmes ou en cris, le laissait en proie aux pires sentiments.

Elle baissa les yeux, et dans sa réflexion, sembla prête à avouer.

"J'ai été voir ailleurs," il la devança.

Ses propres yeux ne lui permirent pas de fuir les siens, et restèrent à l'affut de la moindre réaction, du moindre ressenti.

Elle sembla ne pas enregistrer l'information sur l'instant; il lui fallut assembler l'aveu mot à mot, en peser le poids, le retourner deux, trois fois.

Lorsqu'elle parut comprendre l'étendue de sa signification, la parole ne lui vint pas pour autant; elle baissa les yeux à nouveau, le coin des lèvres marqué par le chagrin.

Elle aussi, à l'époque où ils s'étaient connus, s'était laissée aller à penser qu'elle céderait d'abord à la colère s'il lui arrivait d'y faire face; les vices de la jalousie l'avaient animée un certain temps aux prémices de leur relation.

La situation qu'elle avait tant démultipliée lorsqu'elle la pensait encore probable ne lui faisait pas l'effet qu'elle avait appréhendé tant de fois. Elle se sentit bien plus ancrée dans la réalité que ce qu'elle avait prévu, bien plus consciente de ce qui l'entourait; ce fut comme si elle réalisait soudain combien elle n'y avait jamais réellement cru.

Ayumi n'aurait pas su imaginer le silence, lourd de sens, la fatalité avec laquelle elle accepta ce qui leur arrivait.

"Je la connais ?" dit-elle enfin.

Suguru s'accorda à regarder ailleurs.

"Non."

Il lui fallut s'asseoir pour avoir moins à porter. Une fois sur le canapé, un peu plus loin, il ne fut pas plus simple de le regarder. Lorsqu'elle s'y posa lourdement, Suguru laissa ses bras se décroiser, comme s'il n'avait plus à dresser de mur entre lui et qui que ce soit.

"Quand ?"

"Samedi, avant de rentrer."

Elle parut réfléchir, compter les jours. Elle comprit qu'il lui avait été infidèle avant que la vérité n'éclate sur elle.

"Jeudi, aussi." il ajouta difficilement.

La récidive acheva de faire éclater le nœud qu'elle ravalait; elle dissimula son visage entre ses mains, accablée par la honte. L'idée qu'il jouisse et désire ailleurs lui valait l'impression de ne plus exister.

Une part de lui ne pouvait la voir que comme une enfant, à peine consciente d'avoir fait quelque chose de mal; l'autre la prenait en peine, l'atteignait profondément. Plus que tout, Suguru attendait des excuses qui n'arrivaient pas.

"Tu me détestes," elle sanglota, conclut plus qu'elle ne posait la question. Constater, sur le visage de l'autre, l'absence d'une douleur comparable à la sienne la laissait mortifiée: au sens littéral le plus fort, c'est-à-dire blessée à mort, et réduite à rien.

"Je t'en veux," clarifia-t-il, parce qu'il lui semblait, au fil des jours, qu'il n'en avait pas tant le droit. Un rire nerveux échappa à Ayumi, la voix épuisée par l'émoi.

"Moi aussi."

"Tu m'as ignoré toute la semaine. Comme si c'était moi, le coupable."

"Je te laissais du temps, de l'espace."

"Tu fuyais."

Elle voulut s'énerver, céder à l'agacement, mais piquée dans ce qu'elle savait être la vérité, elle ne sut se défendre autrement.

"Tu l'as fait avant de savoir ce que je te cachais !"

Il se heurta à ce qu'il avait à se reprocher; les mots lui manquèrent un instant, l'égo gonfla davantage la rancœur qu'il taisait.

"Au moins, je l'ai avoué."

"C'est facile, ça."

"Pas pour toi, apparemment."

La répartie la froissa.

Elle n'y répliqua pas. Il observait, chez elle, un mélange de regrets et d'amertume au visage qu'il n'avait pas tant; de la situation, lui n'en sentait que les fatalités. Il n'avait plus confiance en elle autant qu'il n'en avait plus en lui.

SakenoanaWhere stories live. Discover now