Chapitre 8

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Notes :

Every single day
And every word you say
Every game you play
Every night you stay

          — Every Breath You Take, The Police


"Bon week-end !"

Le dernier de ses collègues venait enfin de passer la porte du bâtiment de l'agence. L'air s'était un peu rafraîchi, le ciel assombri. La nuit venait de tomber et les trottoirs du centre ville n'étaient foulés que par ceux qui fêtaient l'arrivée du vendredi.

La réunion dont il sortait semblait avoir duré des semaines, et la semaine qu'il venait de passer avait duré des mois. Il fallait dire qu'elle avait mal démarré; avec Ayumi, sur la machine à laver, ils n'en avaient pas parlé depuis.

Alors l'inquiétude planait, depuis lundi, et ce soir-là encore: sur l'écran de son téléphone flottait le message qu'il lui avait envoyé plus tôt, qu'elle avait vu mais auquel elle n'avait pas répondu.

M'attends pas, j'ai une réunion avec le comité

Depuis sa discussion avec Shoko, mardi, il n'avait pas su rentrer assez tôt pour voir la soirée passer. Les affaires affluaient en été, les opportunités abondaient à l'internationale, et le travail qui n'était pas fait à l'agence s'entassait dans le bureau désordonné.

Ayumi ne lui reprochait rien, puisqu'ils ne se voyaient presque pas. Elle n'en avait donc jamais l'occasion. Le matin, lorsqu'ils se croisaient, l'un et l'autre s'échangeaient des banalités de nécessité, et s'en contentaient, laissaient la relation en suspens.

Elle dormait chaque fois qu'il revenait, le repas qu'elle avait fait l'attendait dans le réfrigérateur. Ce vendredi ne fit pas exception; il était vingt-trois heures depuis quinze minutes déjà.

En passant près du Sakenoana, Suguru hésita. Voilà trois jours qu'il n'y avait pas mis les pieds, et l'habitude était à nouveau installée.

Depuis le trottoir d'en face, on voyait la devanture éclairer les passants de ses néons, colorer les personnes qui fumaient à l'extérieur de rose et de violet. L'odeur du tabac lui parvint légèrement; y résister, ces derniers temps, devenait complexe; la cigarette électronique de Shoko l'avait tendu de la tête aux pieds. Il y pensait sans arrêt depuis.

Mais Ayumi y tenait. Plus que lui-même, pour être honnête; Suguru n'avait que faire de la santé de ses poumons dès l'instant où le stress le triturait au point de le pousser à s'imprégner de poison. Il faisait du sport, allait à l'agence à pied; c'était déjà bien assez.

Ayumi dormait, de toute façon. N'est-ce pas ? Le remarquerait-elle s'il rentrait un quart d'heure plus tard ? Il voyait d'ici l'assiette conservée au frais qu'elle lui avait laissé, attendant d'être réchauffée, assortiment d'amour et culpabilité...

Il appréhendait le week-end qui approchait, sachant à quel point il ne pourrait s'empêcher d'observer son comportement à longueur de journée; chaque malaise, chaque nausée, chaque envie de fraises et de tout un tas de stéréotypes abrutissant.

D'ailleurs, l'agence fermait ce samedi. On célébrait Tanabata, la septième nuit du septième mois. La fête des étoiles tombait à pic cette année, lui accordait enfin un week-end de deux jours complets.

[...]

A l'intérieur, la soirée battait son plein; il y fut accueilli par une musique des années quatre-vingt et une chaleur étouffante, stagnante en raison du nombre de clients qui consommaient. Le brouhaha général couvrait presque les basses, assourdissant toutes les conversations qui fusaient.

Certains restaient debout tant les places manquaient, Suguru dû presque jouer des coudes pour s'y faufiler. L'atmosphère imprégna ses sens rapidement, secoua son mental gâteux. Son adolescence lui semblait encore plus lointaine qu'avant, ces temps-ci, et la réelle personne qu'il avait l'impression d'être auparavant aussi.

SakenoanaWhere stories live. Discover now