Chapitre 2

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Taylor

Ma journée n'en finit plus ; cette Dodge challenger aura ma peau. À chaque fois que je pense avoir trouvé la panne, l'ordinateur de bord m'en trouve une nouvelle. Je vais devenir folle. Sauf que, depuis quatre ans que je bosse avec mes frères, aucune voiture ne m'a résistée, alors ce n'est pas cette merveille qui va commencer, aussi capricieuse soit-elle. Je ne rendrais pas les armes.

Dans le bureau, j'entends Victor, l'aîné de mes frères, se disputer avec sa femme, Rachel. J'ai tellement l'habitude que je n'y fais même plus attention. Elle a toujours quelque chose à lui reprocher, alors qu'il se démène comme un fou pour rester à flot avec mon deuxième ainé. Bref, Victor et Paul ont monté cette affaire il y a six ans, puis deux ans plus tard, ils ont accepté de me laisser m'associer à eux et de les aider dans la paperasse. En tout cas, au début. Aujourd'hui, je fais partie de l'équipe de mécaniciens.

Avec mes frères, nous avons chacun notre spécialité : Victor, les vieilles voitures, Paul, les contemporaines et moi, les sportives, parce que depuis toute petite, je suis fan des voitures de sport, avec une préférence pour les grosses cylindrées. C'est notre particularité qui fait notre force, même si parfois c'est difficile pour ces machos de me laisser m'occuper de leurs bébés.

Les hommes ont encore beaucoup de mal à ne pas voir les femmes comme la personne derrière les fourneaux en train de faire la popote pour la ribambelle de gamins qu'ils nous font pondre. Mais grâce ou à cause de ma génitrice j'ai un prénom mixte : Taylor, un as dans ma manche. Tant que le proprio ne me voit pas, il pense que je suis un homme. C'était devenu un jeu avec mon cadet, Nicolas, découvrir combien de temps les gens mettaient à comprendre que j'avais des ovaires ! S'il n'y avait eu que ma passion pour les voitures, ça irait, mais non ! Je ne suis définitivement pas une fille comme les autres. Moi, j'ai la musique dans le sang, enfin j'avais. Un lien que nous partageons avec Nicolas, mais que je n'ai pas avec mes ainés. À son âge, tout comme lui, je rêvais de gloire. La musique était notre échappatoire.

À cette époque, je sortais avec Stéphane, enfin nous étions plus des sex-friends que de vrais amants. Notre relation était très chaotique. Entre les concerts et les courses, nous n'avions pas vraiment de moment juste pour nous, ni de véritable relation de couple, ce qui me convenait, pas d'attaches, mais pas complétement seule non plus. Et je pensais que nous étions sur la même longueur d'ondes. Alors quand Stéphane m'a proposé de le suivre pour faire le tour du monde avec lui, j'ai refusé. Surtout que cet abruti a choisi le pire moment pour faire sa demande. Pour une fille rêvant du grand amour, c'était la proposition parfaite, à ses yeux ; moi je voyais ça comme une laisse. Un moyen de me garder à l'œil. Stéphane n'a pas accepté mon refus, il est parti depuis trois ans et je n'ai presque pas de nouvelles. Est-ce qu'il me manque ? Certains jours, oui, jusqu'à ce que les souvenirs refassent surface et que la raison me rappelle que j'ai fait le bon choix.

J'étais en convalescence. C'est le terme politiquement correct pour dire que je n'étais plus bonne à rien. Pourquoi ? Un accident, un putain d'accident qui a changé ma vie. J'avais besoin d'apprendre à vivre autrement, avec ce bras douloureux et ne fonctionnant plus tout à fait comme il faut. Aujourd'hui encore, ma peau est meurtrie, et une cicatrice affreuse me rappelle chaque jour ce terrible incident ; je paye le prix de mon erreur.

À cette époque, je ne voulais pas me battre. Non pas qu'aujourd'hui, j'en ai plus envie, disons que je ne regarde plus les boites de médicaments avec la même envie. Il y a trois ans, j'ai été tenté de céder à leur appel. Cette petite voix insidieuse qui me disait qu'il me suffisait de répondre à appel, et tout serait fini. Plus de douleurs, plus de culpabilité. Rien, juste la mort. Celle qui a refusé de m'ouvrir sa porte. Après mon accident, je n'étais plus capable de faire le plus basique des mouvements, il me fallait constamment de l'aide. Être réduite à devoir accepter d'être en incapacité à faire les choses par moi-même a été la pire des punitions. Comment aurais-je pu vivre une vie de baroudage alors que j'avais des soins quotidiens ? Je n'étais qu'une petite chose fragile et sans intérêt. Si je n'ai pas fait l'impensable, c'est d'abord pour mon petit frère : je ne pouvais pas l'abandonner. Et puis il y avait Amaury, mon meilleur ami. Il m'a recueilli sans me juger.

Aujourd'hui, je vis toujours en colocation avec lui, mon ex beau-frère, qui joue le rôle de mon petit-ami auprès de mes frères, même si notre relation a toujours été platonique. Nous nous servons d'alibi mutuellement, lui pour de mauvaises raisons, moi, car je refuse de m'engager avec un homme. Les relations suivies, ce n'est pas pour moi.

D'ailleurs, ce soir nous devons nous retrouver dans un bar. Le 45 donne sa chance aux nouveaux groupes et Nicolas y fait une prestation avec ses amis ; j'ai hâte de l'entendre. J'ai l'impression que cela fait une éternité que je n'ai pas passé un moment avec lui et un bon son.

Nous avons une relation particulière tous les deux. J'avais douze ans lorsqu'il est né. Un accident. Ma mère espérait tellement avoir une fille. Une vraie, qui aime jouer à la poupée et non gratter sa basse ou mettre les mains dans le cambouis comme moi, ce qui avait tendance à l'énerver. Elle n'arrivait pas à comprendre comment je pouvais préférer ça à tous ces trucs de princesse. Et elle n'était pas la seule d'ailleurs, ma passion perturbait les gens. Ceux qui pensent qu'une fille doit s'habiller en rose ou avec des paillettes, jouer à la poupée et non vouloir être comme ses grands frères. Au lycée, il y avait des activés autour de la musique, c'est là que j'ai rencontré Amaury, lui aussi passionné par cet art. Nous avons rapidement sympathisé, puis il m'a présenté son frère. Nous partagions beaucoup de choses. À tel point que les mauvaises langues disaient qu'un seul ne me suffisait pas. S'ils savaient à quel point leurs préjugés me passaient au-dessus. La vérité est toute simple. L'un est devenu mon meilleur ami, alors que l'autre m'a détruite.

Lorsque ma journée touche à sa fin, je range mes affaires et rentre chez moi afin de me préparer pour la soirée. Après une douche bien chaude pour dénouer mes muscles endoloris, je me sèche et mets du lait hydratant sur mon corps. Même si personne ne me touche, j'aime avoir la peau douce. J'ai, malgré ce que ma mère pense, des pratiques de femme et j'adore avoir de la lingerie fine quand je ne travaille pas.

Une fois mon rituel terminé, je m'habille avec des sous-vêtements sexy sur lesquels je passe un pantalon en cuir, un top à manches longues, mon blouson et mes boots motarde. Je laisse mes cheveux détachés afin qu'ils ondulent naturellement et les bloque sous une écharpe avant de me diriger vers mon garage pour récupérer ma bécane, une Ducati 850 rouge. Ma merveille, même si après chaque balade avec, mon corps se rappelle à moi de la pire des façons. La douleur fait partie de mon quotidien, alors je refuse de la laisser au garage sous une bâche. Il ne me reste plus qu'elle pour me sentir libre.

Sauve-moi !Where stories live. Discover now