Chapitre 7

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Taylor

Juin 2018

— Tu as entendu le médecin, il faut que tu te fasses opérer à nouveau !

La voix de mon petit ami est sèche. Depuis le drame, il est distant, comme si c'était sa vie à lui qui venait de voler en éclat et non la mienne. Et quoi que je dise, il refuse de m'écouter.

— Je te l'ai déjà dit, il est hors de question qu'un autre charlatan me touche !

À peine ai-je fini ma phrase qu'il sort de ma chambre, me laissant seule dans cet endroit qui pue le désinfectant et la mort. La tristesse m'emporte, le sommeil me fuit et la douleur se fait ma meilleure amie, me laissant perdue et démunie.

Maintenant

Le bien-être que Maxence m'a procuré a pris le dessus sur ma raison et les mots sont sortis tout seuls. Il faut dire que son massage m'a réellement soulagée. Plus que tout ce que j'ai pu tester ces trois dernières années.

Cet accident a coûté la vie à ce pauvre animal et à moi, ma passion. Rudy s'en est tiré avec quelques contusions, rien de méchant, en dehors de sa jambe cassée. Il est sorti de l'hôpital bien avant moi, et même s'il dit ne pas m'en vouloir, je culpabilise toujours autant, parce que c'était moi qui conduisais, j'aurais dû agir autrement. Et même si tous ces spécialistes et autres baratineurs ont justifié mes actes, pris ma défense, ça ne changeait rien pour moi. Personne n'a réussi à comprendre ce que je ressentais

À cela se rajoutait les propos des blouses blanches, comme quoi une femme ne devrait pas conduire et tous les préjugés qu'ils peuvent avoir sur les femmes pilotes. De vrais abrutis qui passaient leur temps à me sermonner, et le chef de service était le plus pourri de tous. C'est lui qui m'a opéré. J'aurais préféré avoir affaire à un interne, le travail aurait été mieux fait.

Épuisée par mes révélations et ma courte nuit, je m'allonge sur mon lit., tandis que tout se mélange dans ma tête. Entre la conversation que j'ai eue avec Stéphane, ainsi que la douleur permanente qui m'empêche de dormir ces derniers temps, j'ai l'impression d'être bourrée avec un temps de retard. D'abord la sensation de bien-être et de plénitude quand il m'a prodigué ses soins, ensuite mes confidences avec ce presque inconnu, je ne me reconnais pas, et ça ne me plaît pas. J'ai l'impression de perdre le contrôle de mon corps et de mes émotions.

Depuis l'opération, j'ai toujours une appréhension quand quelqu'un pose ses mains sur ma blessure, pourtant avec Maxence, les choses m'ont paru différentes, je ne me suis pas sentie jugée. Voilà la raison de mes aveux : son absence de jugement. Il m'a simplement écoutée et a pris soin de moi. Si Amaury avait été là, il n'aurait pas arrêté de sourire ou de me charrier. Depuis le temps qu'il m'incite à revoir un médecin ou un kiné pour mes douleurs, il ne va plus me lâcher quand il va savoir que j'ai laissé notre coloc poser ses mains sur moi.

Étendue sur mon lit, je laisse couler mes larmes, celles retenues devant Maxence. L'eau coule le long de mes joues et me libère de ce poids trop lourd à porter. Et si mes amis avaient raison ? Si j'acceptais d'avoir un autre avis, serait-il possible de faire quelque chose ? Et si les choses étaient différentes, est-ce que ma vie pourrait redevenir presque normale ? Ne plus souffrir autant ? Je ne souhaite plus participer aux courses, non, j'ai tiré un trait sur ce rêve depuis longtemps, mais avoir une vie simple où le moindre de mes mouvements ne me ferait pas souffrir comme si je m'étais blessée hier, ça... ce serait inespéré.

Je m'endors la tête remplie de questions et de doutes. Quand je me réveille plusieurs heures plus tard, ma blessure ne me gêne pas. Je me dirige vers la cuisine toujours vêtue de mon débardeur, ce qui, faut le dire, est une première. Habituellement, je préfère me cacher du regard des autres.

Amaury est assis au bar, une poche de glace sur la joue, il ne semble pas en forme.

— Dure soirée ? Tu as dormi où ? le questionné-je, inquiète pour lui.

Nous avons tous les deux nos démons et la politique de l'autruche est notre crédo. Le pire est que tout est lié à son frère.

Mon ami ne se laisse pas intimider et réplique :

— Et toi alors, ta soirée, tu t'es trouvé un gars pour la nuit ? Tu me fais la morale, mais tu vaux pas mieux que moi, Taylor !

Outch, en général c'est moi qui lance les hostilités, Amaury est en forme aujourd'hui. Je vais me prendre toute sa rancœur et son amertume en pleine face. La prochaine fois je me tairais.

— Pour ta gouverne, saches que j'ai dormi seule. Je suis rentrée ici directement, et j'ai un peu abusé de la vodka. D'ailleurs, c'est toujours aussi infâme ce truc, autant boire directement du white spirit. Le goût ne serait sûrement pas différent. J'ai parlé avec Stéphane et petit-déjeuné avec Maxence ce matin, qui s'inquiétait pour toi. Donc tu vois, je suis restée bien sage contrairement à toi. Montre-moi ton visage.

Il s'exécute en bougonnant et marque un temps d'arrêt en voyant ma tenue. Je ne relève pas et retire la glace. Il a une belle entaille au niveau du sourcil gauche et un cocard est en train de se former sous son œil, ainsi qu'une égratignure sur le nez. Rien de trop méchant, même si j'ai peur que des strips ne suffisent pas à éviter la cicatrice.

Je repose le cold pack sur sa peau et pars récupérer notre trousse de secours dans la salle de bain. À mon retour, il n'a toujours pas bougé, alors je sors des compresses et commence à nettoyer ses plaies. Il se laisse faire, mais ne me décroche toujours pas un mot. Son silence me met hors de moi. Ne ressentant pas la douleur aussi intensément qu'en temps normal, je me sers de mon bras pour le soigner. Cela me tire une légère grimace d'inconfort, mais elle reste tolérable. De plus je n'ai pas à lever le bras trop haut, car Amaury est à la bonne hauteur, perché sur son tabouret.

— Tu veux me faire croire que tu as simplement passé la nuit à siffler ma bouteille, alors que tu ne sembles pas avoir la gueule de bois, et crois-moi, je sais de quoi je parle, de plus, tu te sers de ton bras alors qu'hier soir, c'est à peine si tu bougeais tes doigts.

— C'est presque le soir, j'ai eu le temps d'éliminer les vapeurs, comme tu dis. J'ai aussi très bien dormi, et pour mon épaule...

La porte d'entrée s'ouvre sur notre colocataire, ce qui me coupe dans ma phrase. Il semble épuisé de sa journée, pourtant quand il me voit avec le matériel de premier secours, son visage s'assombrit et il se précipite vers nous. Il prend le relais pour les soins, et fait même des points de suture. En bon médecin qui se respecte, monsieur a une vraie trousse d'urgence avec lui.

Installée dans le canapé pour ne pas le gêner, j'en profite pour observer Maxence travailler. Amaury surprend mon regard, mal à l'aise, je me détourne et allume la télé pour m'occuper. En ce moment, la série Kaamelott passe en boucle. Étant fan de cette série, je connais un grand nombre de répliques.

— Taylor !

Je me retourne, et découvre Amaury une cuillère dans la main. Fier de lui, il me sort la réplique culte du roi Burgonde.

— Arthour ! Cuillère ! Arthour ! On est fort... en pomme !

Nous éclatons de rire tous les deux. Cette réplique détend immédiatement l'atmosphère. Nous retrouvons notre complicité d'antan, ce qui me rends encore un peu plus nostalgique, et laisse Maxence un peu perplexe. Le pauvre, il ne nous avait pas encore vu ensemble et de bonne humeur. À sa décharge, je ne l'avais pas encore vu depuis son arrivée. Moi le fuir ? Peut-être un peu. J'avoue que quand Amaury m'a dit que nous allions avoir un nouveau colocataire, j'ai légèrement grincé des dents. Lorsque j'ai appris son métier, j'ai eu des envies de meurtres et cerise sur le gâteau, c'est Stéphane qui nous l'a envoyé. Mélangez tous ces ingrédients et vous obtenez une fuite en avant : ma spécialité.


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