11. Un ange dans la nuit

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Colombe, pour la deuxième fois de la journée, fut installée dans une petite chambre poussiéreuse, cette fois à partager avec Aelia. La sorcière, dernière laquelle flottaient oreillers et couvertures, entra à leur suite et leur désigna les deux lits de bois, chacun dans un coin de la pièce.

— Faites vos lits demoiselles, je suis trop vieille pour gâcher mon temps à faire des corvées. Quand vous aurez fini vous pourrez descendre manger.

Elle laissa tomber les draps sur le sol puis disparut derrière la porte.

— Je sais pas faire, remarqua l'enfant, manipulant une housse de coussin.

— Je vais t'aider, regarde-moi faire le mien en attendant, proposa l'humaine d'une voix douce.

Elle lui enleva la housse des mains et attrapa l'un des oreillers au sol pour l'y enfiler. Elle le posa sur le lit de droite, avant d'être interrompue par Aelia.

— Non ça c'est mon lit ! C'était celui de mon papa.

Colombe changea alors de lit, déposant son coussin sur l'autre, autour duquel un bazar régnait. Contrairement à l'autre côté de la chambre, qui était plutôt ordonné, celui-ci était encombré de désordre ; livres de magie, magazines et objets en tous genres jonchaient le sol et même les étagères pendaient de travers sur les murs.

— Mais qui a laissé cette chambre dans un désordre pareil...

L'humaine s'attela simplement à faire son lit, soucieuse de ne pas déranger l'état originel des lieux. Pendant ce temps, la blonde jouait avec les couvertures en les lançant en l'air, sautait sur son lit et finit par se calmer et prendre un livre au sol pour le lire.

Le premier lit fait, Colombe apprit à l'enfant comment faire le sien, en lui montrant la façon de mettre une housse sans faire de plis, la manière de plier un couvre-lit et l'aida à choisir un oreiller.

— Et voilà, des beaux draps propres, enfin j'espère, prêts à nous accueillir cette nuit. T'as faim Aelia ?

— Ouaip.

— Alors allons manger.

Elles descendirent à la cuisine, où leur vieille hôte dansait, tout en faisant tournoyer des plats et des couverts, qui filaient dans la salle à manger.

— Vous pouvez vous installer, toi aussi Colombe, je n'ai pas besoin d'aide, merci d'y avoir pensé.

Coupée court, elle obéit sans un mot et alla s'asseoir sur l'un des tabourets autours la petite table conviviale. Des petites assiettes d'un blanc éclatant se posèrent seules sur la nappe écarlate, bientôt rejointes par des plats, dans lesquels étaient trempées des louches, qui servirent les deux invitées. Aelia regardait ce spectacle en riant et Colombe le détaillait avec curiosité. Elle tenta d'intercepter une cuillère qui volait devant elle et celle-ci se laissa faire docilement, puis quand elle la relâcha, continua sa course jusque dans la cuisine.

Le plat, un ragoût agrémenté de toute sorte d'accompagnement, fumait à en former une nuée blanche et translucide au-dessus des assiettes et qui, entrant dans les narines de l'humaine, lui mettaient l'eau à la bouche.

— Vous pouvez manger mes chéries, lança la voix aiguë depuis la cuisine.

Aelia se jeta sur son assiette, qui était la seule dénuée de verdure. Elle reprenait des forces. Ses crises, bien que cette fois elle s'en soit vite remise, lui prenaient énormément d'énergie. Colombe aussi en avait bien besoin, cette journée avait été riche en émotions et rebondissements.

À côté de la fenêtre, elle observa pour la première fois les deux lunes. Deux sphères presque parfaites, dont un bout manquait à chacune, qui croissaient en attendant la pleine lune. Elles se touchaient presque, mais un fin filet sombre se dressait entre elles, les séparant. Elle remarqua que la pièce n'était éclairée par aucune bougie, aucune lampe et que la lumière resplendissante des lunes suffisaient à éclairer la salle à manger comme si on y était en plein jour, à la seule différence que le ciel était noir.

— C'est beau hein ? s'exclama l'enfant la bouche pleine. Je veux être atronone quand je serai grande.

— Astronome, la corrigea Colombe sans détacher ses yeux des deux satellites.

Tout en regardant par la fenêtre, elle mangeait le délicieux plat préparé par leur hôte, qui ne tarda pas à les rejoindre après avoir lancé un sort à la vaisselle pour qu'elle se lave seule.

— C'est seulement la deuxième éclipse de lunes à laquelle je vais assister de ma vie, annonça-t-elle en s'asseyant.

— Et moi la première, ajouta Aelia.

— J'ai déjà vu une éclipse, renchérit l'humaine, mais jamais de deux lunes...

Le silence reprit, et Colombe se souvint du carnet qu'elle avait laissé dans le hall en entrant et la principale raison de leur venue.

— Lay veut que vous soigniez Aelia, dit soudain l'humaine en se rappelant ce détail. Il a un carnet pour vous que j'ai posé sur une commode en entrant.

— Oui je l'ai vu, répondit la sorcière. Je m'en occuperai demain, ça a dû être une longue journée pour la petite.

Heureuse à l'idée de repousser cette tache, Aelia hocha la tête d'un air convaincu et reporta son attention sur son assiette, qui se vidait à vue d'œil.

Le repas se termina et les deux amies purent remonter dans leur chambre. Madame Ulzo donna à l'enfant son petit pyjama turquoise et à Colombe un grand t-shirt et un pantalon ample.

— C'était à Zade quand elle vivait ici, expliqua-t-elle. Il devrait t'aller.

L'enfant se dénuda sans pudeur pour se mettre en tenue plus confortable. Elle retira son gilet beige et défit les boutons de sa robe marron, qui glissa sur son corps. Avec surprise, Colombe découvrit dans son dos une grande aile blanche plumée, unique, qui se déplia, relâchée de sa prison de tissus. Elle s'étendit à son maximum, perdant au passage quelques plumes pluis revint à sa position initiale pour passer dans le trou dédié à cet effet dans le pyjama que l'enfant enfilait.

— Les liaisons entre différentes espèces sont fortement déconseillées, chuchota la sorcière à Colombe alors que la demi ange s'amusait à voleter dans la chambre, renversant quelques bibelots au passage. Mais les accidents arrivent et les enfants sont défectueux. Pas tout à fait sorcière, pas tout à fait ange. Je verrai ce que je peux faire pour elle demain.

Elle s'éloigna pour rejoindre la fenêtre au fond de la chambre et ferma les volets. Une bille de lumière apparût dans sa paume alors qu'elle rejoignait la sortie.

— Au lit ! Vous avez toutes les deux besoin de repos.

Obéissantes, les deux amies s'allongèrent dans leurs lits respectifs et la porte se referma derrière la sorcière.

— Bonne nuit Colie !

— Bonne nuit Aelia.


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Voilà pour ce nouveau chapitre !

Avez-vous remarqué les éléments semblables entre ce chapitre et le précédent ?
Il y aura encore quelques similitudes avec le prochain, soyez attentifs !

En Attendant l'Éclipse de LunesWhere stories live. Discover now