17. Lévitation

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— Ça marchera jamais.

Colombe, les bras tendus devant elle, regardait l'une des plumes d'Aelia sur la table.

— Je sais qu'il y a de la magie ici, j'en ai vu, mais c'est impossible que moi j'en aie. Ce serait trop... bizarre.

Elle observait Aelia, qui tentait avec plus ou moins de succès de faire léviter la plume par télékinésie. Une petite nuée bleue sortit de ses  paumes, entoura incomplètement la plume qui commença à s'élever. Manquant d'équilibre, elle glissa de sa prison de magie et dégringola en direction de la table. L'enfant essaya de la rattraper avec de la magie, mais lança par mégarde un autre sort et la plume prit feu. Un cri s'échappa de ses lèvres et la vieille sorcière stoppa les flammes grâce à un peu de magie.

— Désolée...

— C'est pas grave ma chérie, lui répondit madame Ulzo en lui caressant la tête. C'est un exercice d'autant plus difficile pour toi qui n'arrive pas à contrôler ta magie, ce qui te provoque des crises. En apprenant à l'user correctement, tu sauras toi-même y mettre fin en peu de temps. Concentre-toi bien sur ce que tu veux faire.

Déterminée, la blonde se remit à la tâche.

— Allez Colombe, à ton tour. Et débarrasse-toi de cet air dubitatif, j'ai l'impression de retrouver le petit Lay quand il est venu la première fois chez moi. Il était comme toi, il pensait être incapable de faire de la magie et regarde le puissant sorcier qu'il est devenu aujourd'hui !

— Vous êtes sûre que ça marche pour les humains ? demanda-t-elle.

— Certaine.

— Vous le voyez dans le futur ?

— Dans le passé.

Colombe écarquilla les yeux, la bouche entrouverte, mais la vieille sorcière prit ses mains dans les siennes et enchaîna avec les instructions, l'empêchant de poser les questions qu'avaient créées cette révélation.

— Concentre-toi bien sur ce que tu veux faire exactement. Fixe la plume, imagine-toi qu'elle vole, qu'elle n'est plus posée sur la table, dès qu'elle se soulève un peu, décide de sa direction grâce à tes paumes. Plus tu exécuteras un sort, plus il sera facile, alors entraîne-toi.

Elle lâcha la jeune femme pour qu'elle intègre elle-même la position adéquate, puis ajouta :

— Surtout, il faut y croire pour que ça marche.

Colombe ferma les yeux un instant, le temps d'assimiler les informations et de se convaincre qu'elle pourrait faire voler cette plume. Elle ouvrit les yeux, déterminée, et se concentra sur l'arc blanc devant elle. Les bras tendus comme le lui avait montré son enseignante, elle canalisa son esprit sur son objectif. En quelques secondes, elle sentit ses paumes picoter et une brume jaune en sortit. Surprise, elle sursauta, et sa magie disparut.

— Vous avez vu ça ? s'exclama-t-elle à l'intention de madame Ulzo.

Elle se retourna, mais la vieille femme s'était volatilisée. Elle l'aperçut assise sur le sofa du salon, en train de jouer avec les filets violets de sa magie.

— Non, ma belle, mais je te crois, ne t'inquiète pas, la rassura-t-elle sans lever les yeux de sa distraction.

Colombe la regarda encore quelques secondes, presque vexée que personne n'ait vu son premier début de sort. Une petite main attrapa son bras et Aelia lui dit :

— Vas-y, Colie, moi je te regarde.

Attendrie, l'humaine hocha la tête se retourna à nouveau vers son objectif, les bras tendus. Avec un peu de concentration, elle réussit à faire apparaître cette nuée jaune à ses paumes, qui se dirigea vers la plume, bientôt entourée d'une auréole dorée.

— Continue, lui intima la blonde.

Colombe releva ses paumes et remarqua que la plume suivait son mouvement. Elle la déplaça dans les airs, puis l'effort pour la maintenir en l'air devint de plus en plus laborieux et elle laissa la plume retomber sur la table. Des applaudissements retentirent du salon et Colombe remarqua que la vieille sorcière l'avait observée et la félicitait. Elle la rejoint sur le sofa pour se reposer, pendant qu'Aelia continuait à s'exercer.

— Qu'est-ce que vous vouliez dire avant, quand vous avez dit que des humains ont utilisé de la magie dans le passé ?

La vieille femme laissa le silence se répandre, avant de lui répondre :

— Il y a plus de cent ans, le portail qui menait à la Terre était ouvert en continu. Les humains affluaient à la cité céleste, on leur apprenait la magie, nos coutumes, on échangeait sur nos modes de vie.

Aelia rejoint les deux femmes dans le salon, intriguée par ce récit. Elle s'assit sur les genoux de Colombe, et madame Ulzo continua :

— Mais quand les créatures sont descendues sur Terre, elles n'ont pas été si bien accueillies. Elles étaient traquées comme des bêtes, tuées, moquées. Les sorcières étaient brûlées, les vampires chassés, les fées enfermées, les loup-garous bannis. Les survivants de cette descente ont commencé des attaques contre les humains de la cité céleste, répandant le bruit que c'étaient des brutes égoïstes, qui ne retournaient pas la faveur qu'on leur faisait.

L'émotion se lisait dans la voix de la sorcière, qui revivait les scènes alors qu'elle les racontait.

— Des groupes se sont formés, de plus en plus nombreux, attaquant les humains comme on attaquait les créatures sur Terre. Les Terriens se sont d'abord terrés chez des alliés, mais bientôt toute la cité céleste les traquait. À Nebuli, un vieil homme racontait que leurs âmes étaient noires, qu'il fallait lui rapporter ces humains pour qu'il s'en débarrasse lui-même. C'est ainsi qu'il y a cent trente ans, les humains ont disparu du ciel. Les plus chanceux ont fui, les autres ont été offerts à ce vieux mage. Cet homme est le monarque, Colombe, et je ne crois pas un mot de ce qu'il dit.

Les deux amies avaient écouté attentivement ce récit malheureux, suspendues aux lèvres la vieille femme. L'enfant n'avait pas bien compris tout les détails, mais Colombe avait honte, honte de la façon dont ses ancêtres avaient traité ces gens qui les avaient accueillis, causant son malheur aujourd'hui.

— Pourquoi vous ne le croyez pas ? demanda-t-elle. Il avait peut-être raison, sur Terre les humains ont été horribles.

— Pour monter au ciel, il fallait avoir une âme pure, expliqua la sorcière. Les cœurs amers, corrompus sont trop lourds, jamais un humain n'a causé du tort dans la cité céleste, jamais. Toi aussi, tu as un cœur pur, Colombe, ne perd jamais ça, c'est le secret pour vivre longtemps comme je le fais.

Elle marqua une pause, avant de poursuivre :

— Mais des gens, comme le monarque, voudront profiter de cette pureté, et feront tout pour te l'ôter. Ne te laisse pas faire, ma belle, c'est le meilleur conseil que je puisse te donner.

Sur ces mots, elle se leva et lança sur un ton détendu :

— Bon, qui veut m'aider à préparer à manger ?

— Moi ! s'écria l'enfant, pour qui la discussion avait soudain capté son intérêt.

Elles disparurent dans la cuisine, laissant Colombe méditer sur le discours qu'elle venait d'entendre.

En Attendant l'Éclipse de LunesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant