16. Et quatre dents humaines

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Zade s'était réveillée en milieu de journée, entre excitation et anxiété à l'idée d'enfin pouvoir commencer la concoction de sa potion. Elle ravala un bâillement et descendit dans la boutique, où elle aperçut que le panneau "ouvert" était toujours accrochée dans la vitrine, un détail qu'elle avait omis dans sa fuite précipitée de la veille. Elle s'y rendit pour le retourner du côté "fermé" et distingua dans la rue trois grands hommes, des affiches à la main. En plissant les yeux, elle remarqua qu'il s'agissait de l'avis de recherche qu'elle avait rencontré lors de sa sortie au marché.

— Et maintenant y a ses copains qui viennent le chercher...

Vérifiant que le verrou était mis à la porte, elle s'éloigna, méfiante. Elle se détendit en ajoutant, un sourire aux lèvres :

— Dommage pour vous, j'ai déjà toutes les âmes dont j'ai besoin, faudra passer votre tour.

Elle se rendit dans l'arrière-boutique accompagnée d'un petit rire, souleva le tapis et se glissa dans la trappe qu'elle venait d'ouvrir avant de la refermer soigneusement.

Elle se dirigea directement vers la petite table au-dessus de laquelle se trouvait la photo et le calendrier. À sa droite reposait un grand chaudron et de l'autre côté, sur la table, un épais grimoire, défraîchi et poussiéreux. La sorcière s'en saisit et l'ouvrit à la bonne page, exposant un papier grisonnant orné d'une écriture soignée et quelques dessins. Elle la relut rapidement, bien qu'elle en connaissait le contenu par cœur, puis alla chercher les ingrédients nécessaires.

— Une poignée de cartilage, dix cheveux d'ogre, récitait-elle, un carré de peau et deux yeux orange...

Perchée sur une échelle pour atteindre les bocaux sur son étagère, elle y récoltait les éléments dont elle avait besoin tout en les énonçant.

— Deux brins d'herbe de printemps, une pincée de pollen, de l'écorce d'un bois des plus jeunes, cinq feuilles d'un arbre des plus vieux.

Les mains pleines, elle faisait léviter dans une nuée verte les ingrédients, puis continua, en descendant de l'échelle :

— De l'ADN du défunt, un objet qui lui était cher.

Elle déposa tout sur la table pour aller chercher une brosse à cheveux de laquelle elle préleva quelques mèches blondes. Elle s'empara d'un appareil photo, auparavant bien mis en évidence sur une commode et le posa avec le reste. Elle regarda intensivement tous les ingrédients, puis les mis dans un ordre précis dans son grand chaudron, tassant parfois à l'aide d'un grand bâton les éléments qui s'y accumulaient. Une fois que la surface de la table fut de nouveau vide, elle s'empara d'un grand récipient de verre qui trônait à côté du grand bol de métal et en versa son contenu, un liquide épais et rougeâtre, dans sa potion.

— Couvrez le tout de deux litres de sang, puis laissez toute la nuit reposer.

Elle posa le bocal de verre au sol et s'éloigna de la mixture, puis continua de réciter, immobile :

— Le lendemain, ajoutez-y treize âmes et quatre dents humaines.

Elle tourna les talons et remonta par les escaliers du laboratoire, en laissant derrière elle sa potion mijoter, le cœur battant à tout rompre.

En haut, elle eut à peine le temps de franchir les rideaux qui séparaient l'arrière-boutique du magasin, que des hommes toquaient à la porte.

— C'est fermé ! cria-t-elle aux trois Verkajins.

Voyant qu'ils insistaient, elle soupira avant d'aller leur ouvrir.

— Bienvenue dans le bazar de Zade, en quoi...

En Attendant l'Éclipse de LunesWhere stories live. Discover now