En Attendant l'Éclipse de Lunes

25. Au secours de Colombe

Zade s'éveilla, secouée par sa fiancée inquiète. Elle marmonna un bref refus et referma ses paupières, épuisée. Elle avait fait appel à un peu trop de magie quand elle était encore dans le rêve et avait besoin de se reposer.

— Zade, arrête ton cinéma et lève-toi ! J'ai... peur.

La sorcière ouvrit lentement les yeux et découvrit la nation bannie, telle qu'on pouvait imaginer un lieu abandonné depuis cinquante ans. Elle plaqua une main sur son front et bredouilla :

— J'ai mal à la tête. J'aurais pas dû venir...

— Alors lance-toi un sort pour te guérir, ou, je sais pas, fait quelque chose... Mais il faut vraiment qu'on retrouve les autres et qu'on sorte d'ici.

— Je... Il faut que j'économise ma magie. Ça faisait longtemps que je l'utilisais plus autant...

Zade s'assit en un grognement, soutenue par sa fiancée. Cette dernière caressa ses cheveux et déposa un baiser sur son front, puis se leva en tendant sa main.

— Allez, debout Zade.

La sorcière grogna à nouveau et attrapa la main de Kaly pour se hisser sur ses jambes. Une fois debout, elle tira un peu plus fort sur le bras de sa fiancée pour l'attirer vers elle et la serra dans ses bras. La blonde rit et se dégagea gentiment de l'étreinte en rougissant.

— Allez, il est temps de retrouver les autres.

Main dans la main, elles avançaient dans les rues sombres en ruine.

— C'est vrai que ça fait un peu froid dans le dos... approuva Zade, aux aguets. Colombe ne doit pas être loin, je ne pense pas qu'Awan nous ait déplacé, on a juste dû prendre des chemins différents en entrant ici, il y avait tellement de brouillard...

— Colombe ? appelait Kaly. Zéas ? Awan ? Il y a quelqu'un ?

Mais personne ne répondit et les deux femmes continuèrent d'avancer dans les rues. Elles criaient parfois des noms, auxquels seulement l'écho de leur propre voix répondait.

Au bout de quelques minutes de recherches, elles entendirent enfin un cri, une voix masculine qui criait le nom de la vampire.

— Zéas ? s'écria cette dernière.

Kaly courut en direction de la voix de son frère, laissant la main de Zade. La sorcière la suivit de loin en marchant, presque vexée de cet abandon.

Zigzaguant entre les ruelles à la recherche de son frère, les pas de Kaly étaient rythmés par le sang qui pulsait dans ses veines et les larmes qui coulaient sur ses joues. Alors qu'elle arrivait au dernier virage, son cœur manqua un battement et elle le vit enfin.

Elle découvrit son frère en une version qu'elle reconnut à peine. Si elle n'avait pas été pétrifiée d'émotions, elle aurait reculé de quelques pas. Outre son apparence féline, les traits qu'elle lui connaissait étaient effacés par le deuil. Il semblait avoir pris dix ans et perdu du poids, mais surtout, son regard avait changé. Ses yeux vert pomme avaient laissé place à des émeraudes sombres, qui faisaient presque froid dans le dos.

Mais en quelques secondes, le regard de Zéas s'illumina de milliers de gouttelettes et il courut dans les bras de sa grande sœur. Sortie de sa pétrification, Kaly l'entoura de ses bras en lui chuchotant :

— Tout va bien, je suis là maintenant.

— Je suis désolé, Kaly... Je suis désolé, déplora le blond, la voix brisée par les larmes.

La grande sœur releva le visage de Zéas avant d'essuyer ses larmes de son index, encore troublée par son apparence, mais laissant paraître sur son visage un sourire rassurant.

La sorcière les observait de loin, les bras croisés, presque jalouse. Elle avait entendu Lay proposer à Colombe de l'héberger pour leur permettre de passer du temps ensemble. Mais maintenant qu'elles avaient retrouvé Zéas, qu'est-ce qu'elles allaient faire de lui ? Zade savait qu'il avait besoin de Kaly autant qu'elle et que le priver de sa présence serait injuste, mais en même temps, elle ne se voyait pas partager sa fiancée, et surtout pas avec ce jeune homme instable qu'elle avait retenu captif pendant deux ans.

Alors que Zade observait encore les retrouvailles d'un regard noir, un cri déchira la nation bannie.

— Colombe...

La rousse s'approcha d'un pas pressant du duo, qui regardait les rues avec un air inquiet.

— Vous ferez vos petites retrouvailles plus tard, il faut qu'on retrouve Colombe !

Alors qu'elle fermait les yeux pour détecter l'aura de cette dernière, une douleur lancinante lui traversa le crâne et elle se sentit chancelante. Une main se posa sur la sienne et Kaly lui intima :

— Garde ta magie pour plus tard. Le cri venait de là-bas.

Kaly attrapa sa main et la tira à travers les ruelles d'Awan, en direction de l'humaine. En se retournant, elle aperçut Zéas qui les suivait. Un léger soupir de soulagement s'échappa de ses lèvres. Il voulait autant qu'elles sauver Colombe, peut-être qu'au fond, le petit frère qu'elle connaissait était toujours là.

À force de courir dans les rues d'Awan, le petit groupe entendit une voix aiguë chantonner une chanson. Ils ralentirent alors, arrêtés par Zade qui chuchota :

— On ne peut pas y aller sans plan.

— Il n'y a pas de plan, lança Zéas. Cet enfant est capable de tout, quoi qu'on fasse, c'est fichu d'avance, alors autant y aller maintenant.

— Non ! le retinrent les deux femmes alors qu'il s'élançait dans la rue.

La musique continuait au loin, un peu plus forte qu'avant, puis le son se stabilisa. Awan devait être de l'autre côté du bâtiment contre lequel ils se trouvaient.

— On ne sait pas ce qu'il lui a fait, repris le vampire. Peut-être que Colombe est déjà morte pendant qu'on perd notre temps à discuter !

Il tenta à nouveau de rejoindre Colombe, mais fut retenu sèchement par sa sœur.

— J'y vais moi, dit-elle. Je pense qu'au fond, cet enfant a du bon, je l'ai vu quand je lui ai parlé. Je peux peut-être le convaincre.

La chanson, qui occupait plus tôt l'air d'une douce mélodie, s'arrêta.

— Non, laissez-moi y aller, demanda son frère en prenant ses mains. C'est ma faute si...

— Vous parlez de quoi ?

Le trio sursauta à ces mots, prononcé par Awan qui venait d'apparaître à leur côté.

— On a perdu Colombe, lui expliqua Zade en s'agenouillant à côté de lui.

Les deux autres, encore pétrifiés de peur, la regardaient faire.

— Je l'ai pas vue, bredouilla le garçon en baladant ses yeux dans les airs, tout en frottant nerveusement son pied contre le sol.

— C'est faux, il ment ! s'énerva Zéas en s'avançant vers l'enfant.

D'abord retenu par sa sœur, il se défit de son emprise et s'avança jusqu'à Awan.

— Toi, rends-nous tout de suite Colombe, sinon...

Awan avait calmement levé sa main vers lui, mais arrêta son geste quand il vit Kaly s'interposer devant son frère.

— Non ! Awan, attends. On peut discuter avant. On sait que tu veux faire quelque chose à Colombe, mais tu devrais plutôt...

Le garçon se couvrit les oreilles en secouant la tête, les yeux clos, refusant d'écouter.

— Non, non, non ! criait-il. Je veux sortir d'ici !

Il ouvrit les yeux, dans lesquels la galaxie semblait plus sombre que jamais. Il toisa ses visiteurs, sourd à leurs arguments, les sourcils froncés, la mâchoire serrée et les tâches dorées sur ses joues disparurent.

— Je veux sortir d'ici, répéta-il plus calmement.

Quelques secondes plus tard, le trio tomba endormi à ses côtés et trois grandes mains visqueuses s'emparèrent d'eux.