20. Le phénix aux ailes d'or

42 8 44
                                    

— Allez, élevez-vous...

Zade, éveillée depuis les premières heures du matin, se tenait dans son laboratoire au-dessus de la montagne de cadavre, un bocal à la main. Elle attendait depuis quelques minutes lorsqu'une nuée blanche commença à s'évader d'un sac. Elle plaça le récipient en sa direction et la brume s'y infiltra. La rousse referma le couvercle et jubila :

— Tu peux tirer un trait sur l'au-delà !

Quelques minutes plus tard, deux autres âmes ne tardèrent pas à s'élever, qu'elle captura avec autant de facilité que la précédente. Les trois bocaux vinrent compléter la collection d'une dizaine de récipients semblables, tous emprisonnant une âme.

La rousse se dirigea vers sa potion et remua la mixture hétérogène couleur brique à l'aide d'un grand bâton, puis elle le retira et couvrit le chaudron d'un grand couvercle de métal, qui présentait une petite ouverture circulaire en son milieu. Elle soupira longuement, puis alla chercher les bocaux. Elle vida leur contenu un à un par l'orifice et lorsqu'elle eut terminé, elle se dirigea vers l'étagère et y récupéra les quatre molaires de Colombe. Elle les inséra dans le chaudron puis se souvint du mot que lui avait écrit madame Ulzo l'avant-veille. Elle sortit le papier de sa poche et lut :

Kalystos vivra éternellement en toi, par le souvenir que tu en as

— Pff, n'importe quoi.

Elle chiffonna le mot et le remit dans sa poche, agacée. Elle avait entendu tellement de fois ce discours illusoire. Les gens ne pouvaient pas comprendre l'effet que produisait la perte d'une âme sœur, l'immense vide qui se créait, un trou béant dans le cœur, dans sa vie, qu'elle ne pouvait combler par rien d'autre, et sûrement pas par de stupides souvenirs.

Elle inspira profondément et enleva la vieille pince de ses cheveux, laissant une fine cascade rousse aux boucles irrégulières tomber dans son dos. Elle nettoya le bijou grâce à un sort, et les ailes retrouvèrent leur éclat d'antan. Débarrassés du sang et de la rouille, on distinguait maintenant les fins motifs d'or qui ornaient son accessoire fétiche. Elle prit les cheveux du haut de son crâne et les rassembla à l'arrière de sa tête. Elle sécurisa le tout avec sa pince et se retourna vers le chaudron, c'était enfin l'heure.

Les mains tendues et les yeux clos, elle laissa sa magie s'infiltrer dans le chaudron et énonça d'une voix forte et assurée :

— Kalystos.

Elle serait bientôt là, à nouveau à ses côtés, tout redeviendrait comme avant.

— Kalystos.

Elle inspira une grande bouffée d'air, elle attendait ce moment depuis deux ans, son cœur battait à tout rompre, mais sa concentration prenait le dessus sur ses émotions.

— Kalystos.

Le flux vert cessa de couler de ses mains, disparaissant dans le chaudron, duquel s'enfuyait maintenant de la fumée blanche. Essoufflée par cet effort, la sorcière s'appuya contre la table, tétanisée de voir si la potion marcherait ou non. Ses membres étaient figés, et son cœur battait à la fois d'excitation et d'angoisse. Le silence emplissait la pièce, jusqu'à ce qu'un murmure, à peine audible, parvienne du récipient de métal.

— Kaly ?

Oubliant son effort, Zade se précipita pour enlever le couvercle sous lequel elle découvrit un corps recroquevillé. La mixture avait laissé place à sa bien-aimée, qui se releva, massant sa tête d'une main, le regard trouble. Tétanisée, Zade l'observait reprendre conscience en s'éloignant du chaudron. Elle avait préparé ce jour depuis longtemps, pourtant rien de ce qu'elle n'aurait voulu dire ne sortit de ses lèvres, à la place, elle se contentait d'observer, la bouche ouverte, la gorge nouée.

En Attendant l'Éclipse de LunesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant