12. Un sauveur meurtrier

58 11 41
                                    

— T'as vu comme il l'a aspiré ? C'était dément !

En tailleurs sur son petit lit, Maka mangeait sa maigre portion de pain et de viande, tout en écoutant Lunn chanter les louanges de son maître, faisant les cent pas dans la chambre.

— Oui, Lunn, j'ai vu, j'étais juste à côté.

— Voir la vie quitter cet enfant pour nourrir le monarque et le voir reprendre des forces c'est...

— On peut pas changer de sujet ? lança la femme, plus froidement qu'elle ne l'aurait voulu.

L'homme s'arrêta, coupé dans son élan.

— Ouais, si tu veux, répondit-il en perdant de son entrain.

Il s'assit à son tour sur son lit, en face de celui de Maka et entama à pleines dents son steak. Celui de son amie, quant à lui, restait intacte. Cette vision lui avait donné la nausée.

— Tu... Tu trouves pas ça un peu horrible ? demanda-t-elle, les images n'arrêtant pas de revenir dans son esprit.

— Nan, ce steak est comme d'habitude, mais si tu l'veux pas j'le mange hein, répondit-il la bouche pleine.

— Pas ça, idiot, ce qui vient de se passer. Ce pauvre bébé...

Sa voix se brisa, la vision du regard qu'il avait dans ses yeux la hantait, comme si son fantôme vivait en sa mémoire.

— C'était un orphelin Maka, tu te souviens on l'a trouvé par terre. Il aurait eu une vie misérable, seul, sans amour, sans avenir.

— Mais Lunn, toi aussi t'es orphelin ! Imagine si au lieu de te recueillir le maître t'aurais eu comme dîner quand il t'a trouvé.

— Oublie pas que je suis un élémentaire, fit-il remarquer en faisant apparaître une flamme au creux de sa paume, je suis utile. Sinon oui, j'aurai été bouffé, reprit-il en mordant dans la viande, et ça aurait été un honneur de servir ma nation et de préserver la vie du monarque, pas pour toi ?

— Si, répondit-elle, peu convaincue. Si bien sûr... Mais ces humains, eux ils ont rien demandé...

— Oh les humains, si tu savais comme ils sont horribles ! Le monarque m'a raconté comment c'était quand il y avait encore des échanges avec la Terre, il y est même allé plusieurs fois. Apparemment là-bas c'est comme Verkaj, mais en pire ! Pollution, crimes, guerres, discrimination, imagine un monde avec la même mentalité que tes parents, t'aurais pas survécu.

Lunn fit une pause, le temps de croquer un bout de son pain, puis reprit, plus sérieusement :

— Le monarque nous a sauvés Maka, oublie pas ça, et il œuvre pour un monde meilleur, il mérite quelques sacrifices.

La jeune femme caressa ses cheveux nerveusement à la mention de ses parents. Peut-être qu'il avait raison, le monarque en valait la peine. Après tout, il lui avait sauvé la vie...

Quelques mois auparavant

Une silhouette avançait sous la pluie aux frontières de Verkaj, vêtue d'une longue cape dont la capuche cachait en partie un visage androgyne. Les larmes sur ses joues se mélangeaient à la pluie, cheminant de ses paumettes hautes à son menton carré. Au loin retentissait les pas d'un groupe, mais il s'en fichait, sa haine lui faisait oublier le danger. Il fixait le sol de boue tout en avançant, laissait ses pas le guider aussi loin que possible de son domicile. Se battant depuis des années pour affirmer son identité, Akamo était ignoré de tous, moqué, forcé à être quelqu'un qu'elle n'était pas.

Le groupe qu'il avait entendu au loin s'était avancé et le tintement des armures était de plus en plus bruyant, mais il n'entendait pas, sa colère et sa tristesse résonnaient trop fort dans sa tête. Encore quelques pas, et ses yeux croisèrent une paire de souliers vernis, puis remontèrent pour distinguer un homme fin, mais à la carrure imposante, qui tenait dans sa main gauche un sceptre orné d'une sphère noire. Autours de lui se trouvait un maigre régiment d'hommes arborant l'uniforme des troupes du monarque de Nebuli. Plus loin, il distingua la grande porte dorée, il était allé trop loin. L'un des hommes dégaina son épée et un autre s'avança, une corde et un bâillon dans la main. L'homme du milieu brandit son sceptre pour barrer la route à ses deux soldats, qui s'arrêtèrent net.

— Je suis le monarque de Nebuli, et toi, qui es-tu ? demanda doucement l'homme au sceptre d'une voix grave.

— Je... commença Akamo, intimidé et perdu. Je ne sais pas...

— Quel est ton nom ?

— Akamo.

Effrayé par les hommes armés devant lui, il était cependant apaisé par la voix du monarque, qui contenait une certaine douceur.

— Akamo... Laisse-moi t'aider, je sens tes souffrances, je peux tout arranger pour toi si tu me rends quelques services.

Il s'approcha du jeune homme et tendit ses bras, les paumes ouvertes. Une nuée noire et épaisse entoura le jeune homme et lorsqu'elle eut disparu, c'était une jeune femme qui se tenait face au monarque. Ce dernier fit apparaître un petit miroir dans sa main et le donna à Akamo, qui s'y observa. Les traits de son visage s'étaient affinés, entourés de cheveux bruns qui lui tombaient sur les épaules. Elle avait l'apparence qu'elle avait toujours souhaité.

— Et que dirais-tu d'un nom plus féminin ? ajouta le monarque, pensif. Akama ? Kama... Et si je t'appelais Maka ?

Obnubilée par le reflet parfait que lui renvoyait le miroir, elle se contenta de simplement hocher la tête, les yeux fixés sur la glace. Son cœur battait d'excitation et un sourire ne quittait plus ses lèvres. Cet homme était bien loin d'être un tortionnaire comme on le racontait, c'était son sauveur, il lui avait donné une nouvelle identité, celle qu'elle avait toujours voulu avoir, qu'elle savait vraie au plus profond d'elle.

— Du coup tu veux pas ta viande ? demanda avidement Lunn, la sortant de ses rêveries, le regard fixé sur son assiette pleine.

Maka s'empara du peu de pain qu'il restait dans son assiette avant de la tendre à son ami, qui engloutit son contenu.

— Dis-moi quand t'as fini pour que je ferme les volets. Demain il faut partir à l'aube si on veut optimiser nos chances de trouver l'humain.

Elle s'allongea et ferma les yeux. Elle tenta de retrouver cette admiration dévouée qu'elle portait à son maître
lorsqu'elle avait commencé à le servir, mais en vain, le nouveau-né statufié refaisait surface dès qu'elle pensait au monarque.

— C'est bon, je vais fermer les volets. J'ai hâte pour la mission de demain, on va bien s'amuser tu vas voir ! lança son ami tout en s'exécutant.

Le noir complet se fit dans la pièce, puis une petite flamme naquit au creux de la main de l'élémentaire pour le guider jusqu'à sa couche. Une fois arrivé à sa destination, il s'allongea avant d'étouffer la flamme en serrant le poing.

— Bonne nuit Maka !

— Bonne nuit Lunn.

————————————————

Un peu plus sur l'histoire des méchants, surtout de Maka. Un avis sur elle ? Et sur les techniques du monarque ?

On n'en a pas fini avec les flashbacks ! Il y en a encore quelques-uns d'importants, j'espère que ça ne rend pas le récit trop confus, mais ils sont importants pour comprendre le présent et les motivations des personnages.

À la semaine prochaine !

En Attendant l'Éclipse de LunesWhere stories live. Discover now