24. Piège noir

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Colombe ouvrit lentement les yeux, troublée. Elle mit quelque temps à se souvenir de son entrevue avec Awan et de ce qu'elle faisait ici. Elle observa autour d'elle, les sourcils froncés. La jeune femme était assise dans une rue déserte, entourée de bâtiments usés par le temps, certains même complètement détruits. Ce paysage presque apocalyptique dénotait tant avec l'allure du petit garçon que Colombe vint à se demander si elle était toujours dans la nation bannie.

Elle distingua un corps allongé plus loin, inerte. En s'approchant, elle reconnut le chapeau haut de forme et la veste en queue de pie qui gisaient au-dessus de leur propriétaire.

— Zéas... ?

Colombe s'approcha et s'accroupit à côté du félin, qui semblait dormir, son dos s'élevant et s'affaissant au rythme de ses respirations profondes. Elle tendit sa main en direction de son épaule pour le réveiller, mais avant qu'elle n'ait pu atteindre sa cible, son poignet fut entouré d'une étreinte forte, qui lui fit pousser un petit cri de surprise.

Zéas se releva immédiatement en position assise, le poignet de Colombe toujours fermement emprisonné entre ses doigts. Lorsqu'il reconnut la jeune femme, ses traits se détendirent et il la lâcha.

— Bonjour, Colombe, dit-il en la regardant droit dans les yeux, ses lèvres s'élargissant en un grand sourire.

L'interpelée eut un léger mouvement de recul. C'était la première fois qu'elle se trouvait réellement en face de Zéas et elle ne put s'empêcher de lui trouver un charme troublant. Mais les iris verts perdirent bien vite leur éclat, laissant place au vide alors que les sourcils du félin se fronçaient.

— Kaly... Kaly ! s'exclama-t-il en se relevant. Est-ce que ma sœur est ici ?

Il prit sa tête dans ses mains, la respiration saccadée, faisant les cent pas. Devant l'angoisse croissante du jeune homme, Colombe s'en approcha.

— Oui, oui, elle est ici, répondit Colombe. Grâce à une potion de Zade...

Zéas s'était immobilisé un instant, baissant les bras le long de son corps. Il marcha ensuite droit devant lui, en s'éloignant de Colombe, quittant le cercle qu'il faisait quelques secondes plus tôt. Il accéléra, si bien qu'il se mit bientôt à courir, et Colombe s'élança à sa suite.

— Hé ! Attends-moi ! cria-t-elle.

Mais plus elle courrait à sa suite, plus l'écart entre eux s'étendait et après quelques virages dans les rues étroites, Colombe avait perdu le félin.

— Zéas ! Ne me laisse pas seule ici !

Son cri s'éleva dans les airs et sa plainte resta en suspens, sans réponse.

Maintenant seule dans les rues, elle marcha d'un pas hésitant, suivant un chemin aléatoire, les bras croisés sur la poitrine. Cet endroit lui faisait froid dans le dos, peut-être même plus que son propriétaire. Les bâtiments détruits, les larges allées grises de poussière, les débris sur le sol, le silence inquiétant, tout lui faisait l'effet d'être dans une ville hantée.

— Awan ? appela-t-elle alors que la peur s'emparait d'elle. Zade ? Kaly ? Il y a quelqu'un ?

Au loin, un son étouffé lui répondit, suivi de frottement. Colombe se précipita vers la source du bruit, heureuse de quitter sa solitude. Mais lorsqu'elle bifurqua à un croisement, elle aperçut non pas l'un de ses alliés, mais un inconnu, ligoté et bâillonné à l'aide d'une substance noire et gluante. Ses traits étaient creusés et de longues rides violaçaient le dessous de ses yeux. Il semblait utiliser ses dernières forces pour attirer l'attention de l'humaine en se débattant, ce qui n'avait pour seul effet que de refermer de plus en plus l'étreinte de la matière visqueuse. Troublée par cette vision, la jeune femme se figea, incapable d'agir, l'estomac retourné. Seulement des grognements apeurés parvenaient à ses oreilles alors que le prisonnier disparaissait peu à peu sous ses liens.

Elle reprit enfin ses esprits devant l'urgence de la situation et s'élança vers l'homme. Elle empoigna cette gelée noire pour l'arracher à sa victime, mais le trou créé par Colombe se reboucha immédiatement, à nouveau recouvert de la matière poisseuse. L'humaine voulut retenter de sauver l'homme, mais elle remarqua que ses mains étaient encore couvertes de la substance et qu'elle n'arrivait pas à s'en débarrasser. Paniquée, elle essaya de racler sa paume contre un mur, de secouer son bras, mais en vain, ça ne partait pas, et pire, ça s'étendait le long de son membre.

— Comment c'est, dehors ?

Une petite voix chantante s'était élevée derrière elle et Colombe sursauta. Awan était apparu et la fixait avec curiosité et semblait complètement ignorer sa détresse.

— Awan, s'exclama-t-elle. Enlève-moi ça des mains... Et cet homme... Il faut le sauver !

Le visage angélique se froissa et le garçon insista :

— Je t'ai demandé comment c'était dehors.

— C'est... c'est...

Colombe cherchait ses mots, alarmée par la gomme sombre qui était désormais montée jusqu'à son coude. L'enfant devant elle attendait sa réponse impatiemment, toujours aussi indifférent que lorsqu'il était arrivé. C'était le vide dans la tête de l'humaine, son cerveau lui criait de fuir, de se débarrasser de ce piège visqueux. Mais elle devait se reprendre, ou elle finirait comme ce pauvre homme, emprisonnée, ou même pire.

— Dehors, reprit-elle d'une voix tremblante, c'est très beau. Mais c'est aussi très dangereux, surtout pour moi.

— C'est vrai qu'il y a aussi de la magie hors d'ici ? demanda Awan.

— Oui, c'est vrai. Il y a des sorciers, des carrioles magiques... Est-ce que je peux répondre à tes questions après que tu m'aies enlevé ce truc noir sur mes mains ? s'impatienta-t-elle en lui présentant ses avant-bras.

L'enfant la détailla, le nez retroussé et les sourcils froncés.

— Pourquoi t'as touché ça ? demanda-t-il.

— C'était pour sauver cet homme ! Awan, il peut pas respirer comme ça, il va peut-être mourir !

L'intéressé haussa les épaules, puis claqua des doigts et l'étreinte autour des mains de Colombe disparut.

— Awan, tu ne peux pas tuer des gens, c'est mal ! s'indigna l'humaine en s'approchant de lui. Peu importe ce que cet homme t'a fait, il faut que tu lui redonnes une chance.

Awan la détailla encore une fois, avant de dire, plus pour lui-même que pour l'humaine alarmée par la situation :

— Tu as vraiment un cœur pur... Je sais pas comment tu fais, moi je peux pas, je pourrais peut-être jamais... Alors...

Un air mauvais se dessinait sur son visage tandis que le cœur de Colombe accélérait. Elle voulait fuir, mais la peur la rendait faible et les pouvoirs du garçon rendaient ses chances de le semer quasiment nulles.

— ... je vais devoir prendre ton cœur à toi pour sortir.

Colombe sentit une force invisible la tirer et poussa un cri de terreur, avant de perdre connaissance.

En Attendant l'Éclipse de LunesDove le storie prendono vita. Scoprilo ora