CHAPITRE 27

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Les étoiles éclairaient le ciel. Le froid transperçait mon corps de toutes parts – mes jambes reçurent comme des coups de couteaux dans la peau.

Devant moi, le Prince Immortel était assis dans l'herbe, jouant avec les brindilles. Je le voyais de dos et sa capuche ne cachait plus sa chevelure sombre. Je n'arrivais pas à distinguer les lignes de son visage puisque les astres étaient la seule source de lumière.

L'homme fredonnait une berceuse, reniflant quelques fois, coupant sa voix. J'avais une envie irrésistible de le consoler et de lui dire la vérité. Il ne devait pas se rendre dans des états pareils alors que sa bien-aimée l'attendait quelque part.

Je voulais qu'il s'échappe de cet endroit et qu'il se mette à l'abri avant qu'il ne soit trop tard. Il avait commis l'irréparable – le meurtre, l'extermination de peuples et j'en passe.

Une jeune femme me bouscula pour plonger vers le Prince Immortel. Elle se présenta devant lui, des yeux verts luisants dans l'obscurité. Ses longues boucles blondes, reconnaissable par un blanc pâle, se soulevèrent sous le vent. Sa salopette pressait ses seins et l'inconnue semblait suffoquer sous ses vêtements.

Dans ses bras, elle portait une jeune fille ayant les mêmes cheveux. Il s'agissait probablement de sa fille puisqu'elle se cachait sous la chevelure de sa mère.

L'inconnue regardait l'homme en face d'elle. Sa poigne se resserra autour de sa fille et je remarquais un détail important. Ses mains étaient couvertes d'un gris étrange, tachant les vêtements de sa fille. Ce gris ressemblait étrangement à du sang mais sa fille semblait toujours être en vie.

— Ta bien-aimée est décédée, cria l'inconnue d'une voix froide. Tu peux stopper tes agissements.

Le Prince Immortel expira longuement avant de recommencer sa chanson. La déclaration de la jeune femme le laissait sans voix comme s'il avait déjà entendu cette phrase plusieurs fois. Probablement, d'autres personnes étaient venues le supplier d'arrêter ses meurtres.

Elle lâcha sa petite fille de ses bras puis elle courut se cacher derrière les jambes de sa mère, tremblante comme une feuille. J'entendis ses pleurs qui rompaient le silence entre les deux individus.

La femme tendit ses mains sous le nez du Prince Immortel. Le sang coulait sur ses doigts longs et maigres pour tomber sur les herbes de l'homme. Je le vis redresser sa tête, et je pouvais deviner son air curieux et interrogateur à la fois, sur la provenance du sang.

— Je l'ai assassiné, cria-t-elle en secouant ses mains. Tu es aveugle et cruel, tu n'as rien pour être aimé. Plus jamais tu ne ressentiras un tel sentiment.

Le sol gronda sous mes pieds. J'essayais d'attraper l'homme avec ma main. Ce n'est pas possible, elle est toujours vivante. Elle ment.

Cette femme était une menteuse, comme toutes les autres et le sang ne devait pas être une preuve concrète. Ni lui ni moi n'avions la preuve qu'il s'agissait vraiment d'elle.

Pourtant, le Prince Immortel semblait y croire. Il se tenait face à elle, l'une de ses mains portées sur son cou. Les pieds de la menteuse ne touchaient plus le sol – son visage changeait de couleur. Ses mains saisissaient celle de l'Immortel pour être libérée de son étreinte.

— Arrêtez ! Hurlai-je dans la direction du prince. C'est une menteuse !

Pendant qu'il l'étranglait, trois grandes et élégantes femmes apparurent derrière lui. Les Prêtresses étaient prêtes à l'emprisonner, à jamais. Cette femme était un sacrifice pour qu'il soit dans un état vulnérable.

En quelques secondes, je vis le corps du Prince Immortel s'écarter de la jeune femme pour se retrouver sur les genoux. La tête baissée, il ne disait plus un mot, comme s'il avait déjà perdu connaissance.

La menteuse était allongée, inanimée. L'une des Prêtresses, Isirani la sorcière, se précipita vers l'enfant qui pleurait près du corps de sa mère. Elle était décédée.

Le sol continuait de trembler. Mes yeux vrillèrent comme si j'allais m'évanouir. Je voulais absolument vomir – mon corps le réclamait. Mon être tremblait de froid. Je me sentais épuisée, fatiguée jusqu'à ce que je plonge dans l'obscurité.

Encore une fois.

***

Mon corps se releva.

La fenêtre grande ouverte, je reconnaissais les lieux. J'étais de retour dans mon appartement. Mes jambes touchaient un drap humide et épais.

Les couleurs vinrent m'aveugler comme j'avais perdu l'habitude depuis tout ce temps. L'envie de vomir secoua mon corps et me monta jusqu'à la gorge. Ma tête n'arrêtait pas de tourner, comme si j'étais encore dans un manège infernal.

Je n'étais pas décédée finalement – je m'étais retrouvée dans un horrible cauchemar.

Au coin de mon lit, Egdar et Amira étaient assis. Ils me regardèrent, surpris de me revoir. Combien de temps m'attendaient-ils ?

Mon cœur se serra – la réalité était plus douloureuse que prévu.

Amira s'enfuit de ma chambre en courant puis je l'entendis prononcer le prénom de la présidente du Conseil plusieurs fois.

— Meï, vous êtes réveillée, chuchota Egdar en s'approchant.

La douleur reprit le dessus. Ma main se posa sur mon ventre, couvert par des épaisses bandes blanches. J'avais survécu.

Le chef de l'Armée Noire s'assit proche de moi. Mes gestes étaient hésitants, je tremblais de fatiguer et je voulais pleurer.

Pleurer jusqu'à vider tout mon être et ne plus rien sentir. J'étais épuisée, terrifiée et déboussolée. Je ne venais pas de sortir d'un long cauchemar.

Mon esprit devint plus clair et je réussis à comprendre le dessous de cette histoire. Mon périple était simplement un voyage dans le temps, comme nous l'avions vu, Amira et moi, dans la cave de Dan. Je m'étais retrouvée, trente ans en arrière.

Trente ans.

Un ouragan de sentiments me traversa. La tristesse, la colère et la fatigue prédominaient mon état, jusqu'à me faire oublier la douleur.

Mes doigts s'enfoncèrent dans l'épaule d'Egdar. Mes larmes coulaient abondamment sur mes joues, sans aucune raison. 

Le Prince Immortel (TOME 1)Where stories live. Discover now