Chapitre 29 : Nina

14 5 7
                                    

Violette passait l'après-midi avec sa copine, Marius avait disparu – sans doute avec une fille canon. Et Nina se retrouvait seule parce qu'elle n'avait personne à qui rouler des pelles depuis qu'elle avait quitté Jean d'une manière peu honorable. Contrairement à ce qu'elle craignait, leur rupture n'avait pas fait tant de bruit que ça : leurs camarades en avaient parlé pendant quelques jours, certain·es soutenant Jean, d'autres jugeant que Nina avait eu raison, puis iels étaient passé·es à autre chose, au grand soulagement de la jeune femme.

Après avoir discuté avec quelques personnes de sa promotion, Nina envisagea de rentrer chez elle pour regarder une série et jouer avec ses chats. Un sursaut de sérieux la poussa plutôt en direction de la bibliothèque universitaire, même si elle doutait de parvenir à réviser en l'absence de ses ami·es. En désespoir de cause, elle envoya un message à Camille et Ivan pour savoir s'iels étaient là.

« Deuxième étage », lui répondit Camille quelques secondes plus tard.

Soulagée, Nina se dépêcha de lea rejoindre. Elle trouva son ami·e en compagnie d'une grande fille à la peau noire très foncée et aux cheveux attachés en box braids. Ophélie, l'une des meilleur·es ami·es de Camille et Nolan, étudiante en prépa littéraire, photographe de talent et activiste antiraciste ; sans compter qu'elle était magnifique et pleine d'assurance. Bref, elle avait toutes les qualités pour que Nina l'adore, même si elle ne la connaissait pas très bien.

— De quoi vous parlez ? demanda-t-elle en s'installant à leur table.

— J'ai fait mon coming-out demisexuelle il y a un mois, lui révéla Ophélie. Depuis, j'en ai appris beaucoup sur moi. Il s'avère qu'être amoureuse du même mec depuis la seconde n'aide pas à comprendre qu'on ne ressent pas d'attirance sexuelle pour les personnes avec qui on n'a pas de connexion émotionnelle. Beaucoup de choses que je considérais comme normales ne le sont finalement pas tant que ça. Camille vient de me dire qu'iel avait parfois envie de coucher avec des inconnu·es.

— Sérieux ? s'étonna Nina.

Camille haussa les épaules.

— Bah oui. Je le fais pas parce que je suis avec Nolan et, de toute façon, j'évite les coups d'un soir pour plein de raisons, mais ça veut pas dire que j'en ai pas envie.

— Je pensais que les gens faisaient ça parce que c'était cool ou un truc du genre.

— Moi aussi, dit Ophélie, et pourtant... Ça me paraît tellement bizarre de faire ça avec des personnes qu'on ne connaît pas, même si le sexe c'est sympa.

— C'est surcoté, si on me demande mon avis, marmonna Nina. Mais attendez. Est-ce que ça veut dire que les gens sont sérieux quand ils parlent de cul tout le temps ? Parce que je me disais qu'ils faisaient semblant d'être obsédés, mais je commence à avoir un sérieux doute.

— Je suis désolé·e de te dire ça, mais...

Nina s'affaissa dans sa chaise et Ophélie lui tapota l'épaule en guise de soutien.

— Mon monde s'effondre.

— Franchement, je comprends pas non plus. Au moins, maintenant, je sais à quoi m'en tenir. C'est étrange parce que j'ai toujours parlé ouvertement de ma vie sexuelle et de mon désir, mais ça se limitait à mon copain. J'avais jamais réalisé que c'était différent pour les autres.

— Moi, ça se limite à personne, c'est vachement plus simple, dit Nina, ce qui fit rire Camille.

— Tu es asexuelle ? demanda Ophélie.

Nina la fixa sans répondre. Elle connaissait la signification de ce mot, mais elle n'avait jamais envisagé que ça puisse s'appliquer à elle. Après tout, elle avait couché avec nombre de ses copains et n'était pas dégoûtée par le sexe. Elle ne ressentait envers cet acte qu'un profond désintérêt, et elle avait longtemps cru que c'était pareil pour les autres : iels auraient simplement choisi d'avoir une vie sexuelle plus fournie parce qu'iels en tiraient une certaine satisfaction, comme certain·es aimaient le sport. À en croire Camille, Nina s'était trompée et ça la perturbait plus qu'elle ne l'aurait cru.

— Non, je crois pas, finit-elle par répondre.

Ophélie n'insista pas et commença à raconter une nouvelle anecdote, qui impliquait son deuxième partenaire. En plus de son petit ami, avec qui elle sortait par intermittence depuis la seconde et plus sérieusement depuis huit mois, elle était en couple avec un garçon asexuel, grâce auquel elle avait découvert sa demisexualité.

Nina n'écoutait que d'une oreille, plongée dans ses pensées. Était-il possible qu'elle soit asexuelle ? Ça faisait longtemps qu'elle se sentait mal à l'aise avec le terme hétéro, plus particulièrement quand on l'utilisait pour désigner l'attirance sexuelle. Romantique, Nina l'était sans aucun doute – et même trop pour son propre bien –, mais la sexualité n'avait aucune importance dans sa vie, contrairement à Violette qui s'épanouissait avec sa copine et Marius, pour qui le sexe était une activité bien plus satisfaisante que n'importe quel sport.

— Tu devais pas bosser ? lui demanda Camille.

— Si, mais j'ai aucune motivation.

Nina s'efforça de masquer son trouble, de se concentrer sur l'instant présent. Elle avait étalé ses cours devant elle avant de se laisser happer par la conversation entre Camille et Ophélie. Et cette question d'asexualité était maintenant bien plus intéressante que l'histoire de la philosophie ou la préparation d'arguments pour un débat.

— Il était temps qu'on arrête de discuter, de toute façon, dit Ophélie. Je suis venue pour bosser.

Elle posa sur la table un trieur tellement épais que c'était un miracle qu'il puisse rentrer dans son sac.

— Pourquoi ici, d'ailleurs ? s'étonna Nina.

— D'habitude, je vais chez une pote, mais elle était occupée ce soir. En ce moment, je vis chez mon copain et il n'a pas vraiment de bureau pour moi. Comme mes parents habitent en banlieue, c'est quand même plus simple pour moi de dormir chez lui. Je crois que je vais te voler ta carte étudiante, d'ailleurs, ajouta-t-elle à l'intention de son ami·e. Pourquoi le lycée n'a pas un endroit aussi cool pour réviser ?

— Tu peux toujours aller à la médiathèque, répliqua Camille.

— C'est pas ouvert le soir.

— Tu fais aucun effort.

Ophélie secoua la tête et mit ses écouteurs pour se couper du monde. Nina ne tarda pas à l'imiter : elle choisit une playlist de musique sans paroles, idéale pour se concentrer, et s'attela à la relecture de ses notes de la semaine pour les recopier au propre. Cette tâche fastidieuse élimina rapidement toute pensée parasite, y compris la question qu'Ophélie avait, innocemment, soulevée : est-ce que Nina était asexuelle ?


Comme une comédie romantiqueWhere stories live. Discover now