Chapitre 35 : Nina

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L'ambiance dans les vestiaires avant un match était toujours électrique. Nina ne tenait pas en place : elle vérifiait qu'elle avait bien attaché ses cheveux, que sa brassière ne la gênerait pas quand il faudrait courir, que ses gants étaient coincés dans la ceinture de son short. À côté d'elle, Camille sautillait sur place, agité·e de la tête aux pieds, et Sherina faisait craquer ses doigts.

Seule Solange restait immobile, assise sur le banc, la tête enfouie dans ses mains. Ce qui était infiniment plus inquiétant que le comportement des autres joueur·ses. Solange n'était jamais calme avant un match. Comme à son habitude, elle avait attaché ses attelles autour de ses poignets pour soulager ses douleurs articulaires, qui pouvaient devenir handicapantes durant les rencontres, et des patchs chauffants étaient placés sur ses genoux afin de les préparer à l'effort à venir. Quand Solange redressa la tête, Nina sut aussitôt que c'était plus grave qu'elle ne l'avait cru.

— Qu'est-ce qu'il y a ? demanda Jenna, les sourcils froncés.

— Vous allez devoir jouer sans moi, murmura Solange.

— Quoi ?

Nina fixa sa capitaine, la bouche entrouverte. Iels n'avaient jamais joué sans elle, jamais. Et personne n'avait envie qu'aujourd'hui soit la première fois.

— Pourquoi ? s'inquiéta Camille.

— J'ai beaucoup trop mal, ce serait pas raisonnable.

— Mais t'es pas raisonnable, normalement ! protesta Sherina.

— Vous croyez que ça me fait plaisir ? J'ai vraiment envie de jouer le match, j'en meurs d'envie, mais à un moment, je dois prendre soin de moi. Je savais que ça finirait par arriver, c'est pour ça que j'y allais plus lentement pendant les derniers entraînements et...

Sa voix se brisa et elle enfouit son visage dans ses mains pour que personne ne la voie pleurer.

Nina ne savait pas quoi dire. Solange ne pleurait jamais, Solange était la force incarnée. Pourtant, iels allaient devoir jouer sans elle.

— Il nous faut une nouvelle capitaine, dit-elle alors que ses coéquipier·es s'agitaient.

Plusieurs regards surpris se tournèrent vers elle et elle se sentit obligée de se justifier.

— Je veux pas qu'on remplace Solange pour de bon, mais elle sait ce qui est mieux pour elle. Puisqu'elle peut pas jouer, il nous faut une nouvelle capitaine sur le terrain.

— Nina a raison, renchérit Camille. Ça sert à rien de paniquer ou d'insister pour qu'elle joue alors qu'elle a pris sa décision. On peut gagner sans elle, elle nous a entraîné·es pour ça.

— Sherina est la joueuse avec le plus d'ancienneté, fit remarquer Jenna.

Les joueur·ses, après quelques hésitations, s'organisèrent pour proposer les meilleur·es candidat·es. Nina préféra se concentrer sur le match à venir, gardant les yeux rivés sur Solange, qui n'avait plus prononcé un mot depuis son intervention. Finalement, le choix de l'équipe s'arrêta sur Sherina, comme l'avait proposé Jenna.

Solange releva enfin la tête et s'efforça de sourire, mais ses yeux restaient troublés par les larmes. Elle croisa le regard de Nina, puis fixa Sherina.

— Rendez-moi fière, massacrez-les.

Il ne leur en fallait pas plus pour les motiver.

En dépit de ce changement de dernière minute, l'équipe de foot féminine de l'université de Strasbourg s'imposa quatre buts à un après un match acharné. Jenna se fit une entorse à la cheville à cause d'un tacle désespéré pour protéger les cages de Nina ; plusieurs joueur·ses écopèrent d'hématomes et de griffures qu'iels se montrèrent fièrement dans les vestiaires, le sourire aux lèvres.

Solange souriait aussi, mais elle avait la mâchoire crispée, frustrée de ne pas avoir pu jouer à cause de son handicap. Même si ses douleurs gagnaient en intensité au fil du temps, et qu'elle le savait depuis longtemps, ce n'était pas facile à accepter pour autant. Nina la prit dans ses bras sans dire un mot et elles restèrent enlacées quelques secondes, pendant que l'équipe célébrait leur victoire éclatante.


Comme une comédie romantiqueOù les histoires vivent. Découvrez maintenant