Chapitre 33 : Nina

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— Alors, t'as passé une bonne soirée ? demanda Nina en s'installant à la table face à Marius.

Celui-ci esquissa un sourire qui voulait tout dire et elle leva les yeux au ciel.

— T'as déjà commandé ?

— Non, je t'attendais, même si tu vas prendre un macchiato caramel comme d'habitude.

Nina consulta la carte, dans l'espoir de voir une autre boisson qui lui plairait pour le contredire, mais dut s'avouer vaincue. Même si elle adorait le thé, elle n'en commandait jamais dans les cafés parce qu'elle préférait ceux qu'elle achetait dans une petite boutique du centre-ville – une véritable échoppe de sorcière. Quand la serveuse s'approcha, non sans regarder Marius du coin de l'œil, Nina commanda son macchiato caramel, tandis que son ami choisissait un chocolat chaud supplément chantilly avec une part de tarte aux pommes.

— J'ai pas mangé depuis hier soir, se justifia Marius.

— Elle t'a pas apporté le petit-déjeuner ?

— Non, on était trop occupés à...

— Je veux pas savoir ! dit Nina en se bouchant les oreilles.

Marius éclata de rire. C'était trop facile de la gêner : il suffisait de mentionner le sexe ou même simplement d'y faire allusion, et elle virait à l'écarlate. Évidemment, tous·tes ses ami·es étaient au courant et se servaient de cette faiblesse dès qu'iels voulaient l'embêter.

— Et toi alors ? C'était comment, ta soirée ?

— Jean a encore fait des siennes et j'ai plus de nouvelles de lui depuis, ce qui est pas plus mal parce que j'aimerais bien oublier que je suis sortie avec un mec comme lui. Ayden a voulu jouer les gros durs pour me défendre, sauf qu'il n'a fait qu'empirer les choses, donc j'ai dû lui expliquer que j'étais parfaitement capable de me débrouiller seule.

— Je dirais même que tu es plus dangereuse que la plupart des mecs, mais ils sont pas prêts à le reconnaître.

Nina fit jouer ses épaules en tentant d'avoir l'air menaçante, sans grand succès. Elle avait bien conscience de ressembler à un chaton, avec son visage qui paraissait plus jeune que son âge, ses tenues colorées, ses cheveux coiffés en deux chignons – ses oreilles de Mickey, comme disait Violette – et son incapacité à garder une mine sérieuse plus de quelques secondes.

La serveuse déposa leur commande sur la table, accompagnée d'une serviette sur laquelle elle avait inscrit son numéro. Nina l'attrapa avant que Marius n'ait pu s'en servir. La jeune femme était très mignonne, avec ses cheveux roux bouclés, ses lunettes rondes et ses taches de rousseur comme une constellation sur ses joues. Il ne faisait aucun doute que Marius voudrait tenter sa chance avec elle et Nina comptait bien se venger de sa moquerie.

— On t'a déjà dit que t'étais insupportable ?

— Un nombre incalculable de fois, mais ça change rien au fait que pour l'instant, c'est moi qui décide si tu vas choper ou non.

— Comme si j'avais besoin de ça...

Marius préféra s'attaquer à sa tarte aux pommes plutôt que d'entrer dans le jeu de Nina. Celle-ci fourra la serviette dans la poche de son jean et but son macchiato à petites gorgées en l'observant avec un sourire en coin.

— Tu veux bien arrêter ?

— Non, je m'amuse comme je peux.

Et surtout, Nina essayait de ne pas penser au fait qu'Ayden s'était réveillé dans son lit, ce matin-là. Elle somnolait encore, coincée entre la conscience et le monde des rêves, lorsqu'il était parti, l'ombre de son corps se découpant dans l'obscurité. Elle n'avait pas tenté de le retenir parce qu'elle ne voyait pas bien ce qu'elle aurait pu lui dire. Elle rougissait en se souvenant qu'elle l'avait pratiquement supplié de dormir avec elle. C'était pathétique.

— Promis, je te parlerai plus de sexe pendant deux semaines si tu me donnes ce numéro.

— T'es désespéré à ce point ? se moqua Nina.

— J'ai juste la flemme de réfléchir à une autre solution, alors je négocie.

— Très bien.

Elle n'avait pas envie de jouer trop longtemps avec Marius parce qu'il était bien capable de découvrir ce qu'elle avait fait durant la nuit et de s'en servir pour la gêner dès qu'il en aurait l'occasion. Nina donna la serviette à Marius qui fixa le numéro pendant quelques secondes pour l'apprendre par cœur. Derrière le comptoir, la serveuse le fixait avec un sourire en coin ; quand elle croisa le regard de Nina, elle lui adressa un clin d'œil avant de se diriger vers une table où un couple venait de s'installer.

« T'as vraiment dormi avec lui ???? »

Nina se souvint à cet instant qu'elle avait raconté sa soirée à Camille sans rien lui cacher – ou presque.

« C'était rien, je me sentais juste seule et je savais que je pouvais lui faire confiance. »

« En plus, Luna nous servait de chaperonne. »

Sauf que la jeune chatte avait disparu au milieu de la nuit et que la peau brûlante d'Ayden avait effleuré celle de Nina à plusieurs reprises. Ça, elle préféra le taire de peur que son ami·e évoque une nouvelle fois la possibilité qu'Ayden soit attiré par elle. Mais ce n'était pas possible ; sinon, il aurait tenté quelque chose quand iels avaient dormi ensemble, au lieu de simples contacts fugaces qui avaient empêché Nina de trouver le sommeil.

« C'est gentil de sa part, en tout cas. »

Oui, Ayden était le mec le plus gentil que Nina connaisse, ce qui ajoutait encore à son charme. Ça n'arrangeait pas les affaires de Nina qui voulait éviter de s'attacher à quelqu'un qui ne serait jamais amoureux d'elle. Pourquoi fallait-il que l'homme parfait soit gay ?

Nina rangea son téléphone dans sa poche pour éviter de penser à Ayden.

— Et sinon... Tu comptes revenir en cours un jour ? demanda-t-elle.

Marius haussa les épaules.

— Aucune idée. Ça dépendra si j'ai mieux à faire ou pas.

— Tu veux abandonner ?

— Je sais pas.

Plusieurs personnes avaient changé de filière après la première année ; d'autres avaient simplement disparu sans donner de nouvelles. Marius ne serait pas le premier à abandonner, mais ça ne lui ressemblait pas : il adorait la philosophie et il avait réussi ses examens haut la main, sans avoir besoin de fournir beaucoup d'efforts. Nina peinait à croire qu'il puisse arrêter les cours aussi soudainement, mais ça faisait deux semaines qu'il venait de moins en moins souvent, ratant parfois le premier cours ou alors toute la matinée, parce qu'il ne s'était pas réveillé à temps. La veille, avant qu'iels ne se rendent en boîte de nuit, Marius avait séché toute la journée.

— Tu me diras si t'as besoin d'aide, d'accord ?

Nina aurait aimé en faire plus, mais Marius ne semblait pas avoir envie d'en parler. Il acquiesça et vida son chocolat chaud d'une traite avant d'attaquer la chantilly à la petite cuillère.

— Où est Violette ? demanda Nina.

— Avec sa copine, comme d'habitude. Je lui ai proposé de venir, mais elle avait déjà prévu une journée super romantique ou je sais pas quoi.

Nina sourit de l'aigreur feinte de Marius.

— Tu veux qu'on aille sur les rives de l'Ill se plaindre des couples niais ?

— Avec plaisir.


Comme une comédie romantiqueWhere stories live. Discover now