p.8 › connectés.

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« C'est vraiment gentil de ta part. »

Ce feu est long.

« T'aurais pu partir plus tôt, je me sens coupable. Vu la température... »

Très long.

« Ça va Ana, est-ce que j'ai l'air d'avoir perdu mes doigts ? »

Elle renifle. Son dos est trempé par la tresse qu'elle vient de confectionner.

« Syl risque de rester chez lui toute la semaine, il est vraiment malade. Ça te dérange si je continue de squatter ta voiture le temps qu'il se remette sur pied ?

J'appuie sur l'accélérateur. Une paire de lunettes de soleil vient s'écraser contre le pare-brise.

— Fais comme chez toi, j'accède avec un regard en biais.

— T'es pas obligé hein, je sais que tu ne veux pas t'embrouiller avec Syl. Il a une imagination débordante, surtout dans ce genre de situation. S'il commence à se faire des films à propos de nous...

— C'est lui qui ne veut pas d'emmerdes avec moi, nuance. Ça me fait plaisir de t'aider, je lâche en crispant le poing. Et ce n'est pas ton copain qui va m'en empêcher.

— T'énerves pas... »

Dans un élan neutre et dépourvu d'arrière-pensées, sa main s'avance le long de ma cuisse. Je ne saurais dire qui de ce geste ou de la climatisation cassée me fait le plus frissonner, mais ce qui est certain, c'est que j'aurais tout donné pour cet instant.

Nous continuons la route en silence. À peine ébranlés par le chuintement de sa paume contre mon genoux, nous restons muets. La condensation de nos respirations s'élève, les roues crissent à intervalles réguliers, essuyées par le murmure des freins. Je lui jette des coups d'œils dans le rétro ; ses cheveux d'un fauve ardent sont captivants.

Les minutes s'écoulent, et nos yeux convergent finalement sur le 6 Sulky Street. Charmante masure, elle borde le quartier d'Hershel et s'étend sur un jardin qui l'est tout autant. Une bascule suspendue au bout du porche se laisse tanguer, ombrageant un circuit lego qui traîne dans l'escalier. On pourrait presque sentir des effluves de confiture de lait percer à travers les chambranles.

« Merci encore, Ky, glisse Anastasia. Je t'en suis redevable

— Tu ne devrais pas, c'est normal entre amis. »

Ce dernier mot me serre la gorge. Elle le sait, elle le sent. Elle n'a pas besoin de me regarder pour comprendre. Nous sommes les deux seuls à savoir ce que je ressens pour elle, les seuls à s'en être rendu compte lors de la nuit d'anniversaire de Brooke. Mais il est tard, trop tard pour moi : elle m'a filé entre les doigts. Maintenant, je l'aime comme on aime une inconnue dans le bus. Le cœur battant et impuissant.

J'ai emballé sa sœur. Je l'ai serrée dans mes bras, devant elle, je ne l'ai même pas aperçue. Je crois qu'elle voulait m'avouer qu'elle m'aimait ce soir-là. À cause d'un anniversaire où nous avions un peu trop bu, nous sommes restés toute notre terminale collés l'un à l'autre – Brooke et moi – sans vraiment nous aimer, profitant de notre statut de "couple parfait" pour nous amuser avant les diplômes. Et voilà maintenant un an que je regrette. Un an durant lequel je me suis rendu compte qu'Anastasia signifiait bien plus que quiconque à mes yeux.

« Kyrel ? »

Je lève le nez, ayant sombré dans mes pensées avant même d'avoir désactivé la sécurité. Je lui souris et déverrouille les portières.

stratosphère.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant