p.23 › l'après.

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Lorsque je rentre, il demeure les mêmes effluves que la dernière fois. Boissons chaudes et cuir ancien : rien n'a changé. Afro me jette même un regard en coin, souligné d'un petit sourire. Elle semble me dire quelque chose : ses lèvres charnues se mouvent, ses doigts pianotent sur la page 67 du Meilleur des Mondes. Sa langue se colle au palet, roule vers l'extérieur, et ses dents s'entrouvrent. " Il est là. " paraît-elle m'indiquer.

Sceptique, je la questionne des yeux quand une ombre attire mon attention. Je recule près du bar. Fausse alerte : ce n'était qu'un étudiant.

« Charline.

Je me retourne à l'entente du prénom. C'est la métisse qui vient de parler.

— Je m'appelle Charline, elle reprend. Je sens qu'on va se revoir très souvent, alors autant faire connaissance. Je te sers quelque chose ?

— Kyrel.

— Je le savais déjà. Roshe me l'a dit.

Comment sait-elle que nous nous connaissons ? Remarque, elle a bien dû nous voir, la dernière fois. Mais cela doit rester secret. Car si quelqu'un venait à découvrir nos discussions... Je ne sais même pas ce qu'il adviendrait.

— Vous vous connaissez ? Et il... t'a parlé de moi ?

— Il bosse là où j'ai mis mon cheval en pension. Du coup on s'connait, ouais.

Depuis quand Roshe bosse ? Et avec des chevaux ? Je me mordille la lèvre sous le coup de la frustration, stupide de n'avoir pas su cela plus tôt. Je ne le connais pas tant que ça, finalement.

— Ok, merci pour l'info, je renâcle en feignant ne pas y porter de l'importance.

— Il est au fond. »

Clin d'œil. Je l'observe un instant puis me détache du comptoir. J'avance dans la salle.

À cause des grandes bibliothèques, il est difficile de surveiller toutes les tables en même temps. Certaines sont reléguées derrière le labyrinthe de boiseries, dissimulées aux yeux de la vitrine, et les ferrus de lecture sont nombreux à venir s'y cacher. Et c'est évidemment le cas de Roshe.

Il commence à se faire tard. La natation m'a tellement épuisé que je ne puis que marcher à vitesse réduite. Il s'est écoulé trois jours sans que je puisse parler à Roshe, ou du moins en face-à-face. Je contourne une étagère qui menace de tomber. La lumière se tamise au fur et à mesure de mon avancée, plus lointaine, plus retirée que la dernière fois. Et puis enfin, je l'aperçois.

Il est en manches courtes malgré les 3 degrés extérieurs, le nez plongé dans une écharpe molletonnée. Il griffe un carnet à coups de stylo, comme s'il souhaitait en arracher le papier. Mais énervé, il déchire la page et l'envoie valdinguer dans son sac pendu près de lui. Les ongles de ses mains sont salement rongés.

D'un coup d'un seul je me mets en marche et pose mes fesses sur le siège d'en face. Sa nuque frémit en sentant ma présence et il lève sur moi des yeux imbibés de rouge – il a des tendances insomniaques. Un large sourire prend place sur son visage.

« Salutations, mon canard. T'arrives pile au bon moment, il me souffle en dégageant sa bouche.

— Un nouveau surnom ?

stratosphère.Where stories live. Discover now