p.30 › la langue du camembert.

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Je n'ai jamais eu de console : mes parents n'ont jamais eu assez d'argent pour en foutre là-dedans. Je n'irai pas jusqu'à dire que nous vivions dans le besoin, nous savions nous contenter de peu et c'était tout. L'économie des dépenses, pas d'achats avant noël et les anniversaires... Mais je ne m'en plains pas et ne m'en suis jamais plains. Car quand je vois des gamines de dix ans qui se pavanent avec des Iphones à neuf cent balles dans la poche, je me dis qu'avoir joué aux pirates jusqu'à leur âge n'était pas une si mauvaise idée.

Bien sûr, cela n'a pas eu que des avantages. La preuve : revenons-en à cette histoire de console. Vous voyez ce petit garçon assis sur le canapé du salon, les yeux rivés sur le jeu vidéo qu'a reçu son meilleur ami pour son anniversaire ? Autour de lui, les gamins  s'entretuent pour attraper une manette. Et lui aussi, il en en a très envie.

Mais s'il n'a jamais touché à un jeu de sa vie, comment ne pas se ridiculiser devant cette bande de buteurs de champignons aguerris ? En voilà un problème.

Et puis on recule, on change de pièce. Nous voici dans la chambre dudit meilleur ami. Les récompenses et les beaux bulletins s'empilent, les cadres fièrement pendus au mur se superposent. Leur marque de fabrique ? Mr Jones. Brillant professeur de mathématiques, il a annulé sa séance du samedi pour l'anniversaire du meilleur ami. Il doit sûrement traîner avec Mme Pean, la prof d'anglais du gros Steve. Ou alors Mr Faith, l'étudiant en fac d'histoire qui vient donner des cours à Emily.

Oh et puis il y a le petit Kyrel William Jensberg, courant dans son jardin comme un chien un peu stupide. Ah non, pour lui, pas de professeurs particuliers ! Pas intelligent, vous dites ? Et bien tant pis, il aura qu'à faire avec. De toute manière il sera toujours connu comme le petit toutou de Mace Denver, le petit gars très instruit qui ira loin, lui. Quelle bande de connards...

DRIIIIIING

Je sursaute brusquement. Ma voisine me lance un regard torve, mauvais, et se remet à pianoter sur sa table. Merde. L'heure est terminée et ma copie ressemble à un véritable gruyère.

Je panique.

Ma main tente de s'activer, mais Mme Perrault est déjà en train de ramasser. Ses yeux d'un bleu vicieux voguent de feuille en feuille, grimace, puis passe à la table suivante. Kyrel, dépêche-toi.

Elle se rapproche. Son nez se plisse, mes doigts se crispent. Rappelle-toi ce que tu as révisé avec Roshe, allez...

Ses escarpins entrent dans mon champ de vision.

« Jensberg, elle aspire d'un ton amer.

Perrault, je rétorque.

Je la vois retenir une remarque pleine d'acidité, car ses joues se gonflent, puis elle attrape ma copie. Je me remémore les remarques de la dernière fois. Quelle pétasse.

Si j'étais vous, je ne compterais pas sur une belle note. Alors arrêtez de sourire bêtement. »

Mon masque sarcastique s'agrandit. Les françaises sont décidément les pires...

Mais après réflexion, elle avait totalement raison. Deux jours après, c'est avec un grand et beau sourire qu'elle m'a tendu ma note : un F.

Au moins j'étais fixé.

« Alors Ky, cette éval' ? me murmure Mace alors que nous nous éloignons en direction de la piscine.

stratosphère.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant