p.48 › une soirée placée sous le signe de la masculinité.

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D'après Jil, Effy a eu un sacré choc en voyant mon père débarquer. Attablée dans la cuisine, elle s'est levée d'un bond en entendant les clefs cliqueter dans la serrure et s'est précipitée vers la porte. Sûrement aurait-elle été déçue de m'apercevoir sur le palier, mais ce ne fut pas le cas. Naïve comme elle est, je l'imagine très bien lui sauter dans les bras en l'insultant de tous les noms – ce qu'elle a certainement fait. Ils se sont ensuite longuement entretenus avant que ma sœur n'ait eu l'autorisation de descendre, ce après quoi je suis apparu.

« Maman n'avait pas l'air au comble du ravissement, mais quand même : il revient vivre à la maison.

— Retour au point de départ..., bougonné-je en enfilant ma veste.

Debout dans le vestibule, Jil et moi échangeons quelques mots avant que je ne parte chez Benjamin. Elle me dévisage d'un air perplexe :

— Je ne sais pas s'il continue de voir son assistante...

Je hausse les épaules.

— Probablement, je réplique dans un soupir. Je ne crois pas qu'il s'intéresse encore à Effy, de toute manière.

Une ombre passe sur son visage, et je m'en veux tout de suite de lui parler de ça avec autant d'indifférence. Nous n'avons clairement pas la même relation vis-à-vis de nos parents, et il ne lui arrive que très rarement de s'engueuler avec eux. Avant que mon père ne dérape, on peut dire qu'ils filaient le parfait amour filial.

— Pourquoi tu ne les appelle pas "maman" et "papa" ? murmure-t-elle en plissant les yeux.

C'est dans l'ADN des petites sœurs de poser des questions dont elles connaissent déjà les réponses ?

— Je vais franchement pas leur faire cet honneur, crois-moi. Ce serait comme t'appeler ma petite sœur chérie d'amour que j'aime tant, je rétorque en ouvrant la porte. C'est tout bonnement irréalisable.

— Tu fais pitié. » crache-t-elle en retour.

Elle s'enfuit en direction de sa chambre, me laissant seul dans l'embrasure. Je crois que je l'ai vexée.

La maison de Benjamin se situe à quelques minutes du centre sportif. À la lisière du quartier d'Hershel, sur la parcelle de terre la plus prout-prout de la ville. À pied entre les grandes maisons-piscine, je ne me sens pas à l'aise. Ces hautes toitures et ces jardins bien entretenus ne me font vraiment pas envie : rien que d'y penser ça me donne des vertiges. Cela impliquerait d'avoir un boulot stable et bien payé, suffisamment d'enfants pour qu'une telle superficie soit rentable... Rien dont je sois capable, en somme.

Arrivé devant le portique du numéro 64, j'aperçois Benjamin foncer à l'intérieur de la baraque. Je suis quasiment sûr que Kellin est déjà en train de foutre le bordel, lui ou n'importe quel autre imbécile, d'ailleurs. Un paquet de chips à la main – je suis ric-rac niveau argent – j'avance dans l'allée. Sa maison correspond parfaitement aux critères de la famille bourge de Blurdale : une masure à colonnades type coloniale américaine, le drapeau national monté en bannière et des étages agencés en cercle autour du jardin. Ce n'est pas pour rien que Mace et lui sont cousins.

Je finis par m'inviter seul à l'intérieur du 64. Trouvant sans mal la cuisine, j'y dépose mes provisions et rejoins la chambre de Ben, conformément à la tradition des Pinks – toute réunion se devant d'être menée dans la chambre de l'hôte. Nous marchons comme ça depuis nos onze ans. À part Cesar et Benjamin qui sont arrivés cette année, cela fait un bon bout de temps que nous nous connaissons. Et cela va être un sacré refroidissement lorsque nous ne serons plus dans la même équipe, l'année prochaine.

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