Regarde-moi.

Chapitre 1 (tome 2)

Lorsque je reprends complètement mes esprits, mes yeux mettent quelques secondes à s'accoutumer à l'obscurité. A en juger par mon bras engourdi sur lequel ma tête repose, j'ai du dormir plusieurs heures. Je parviens à lever la tête malgré mon mal de crâne fulgurant pour observer la pièce dans laquelle je me trouve. A vrai dire, je ne parviens pas à distinguer grand chose, si ce n'est des murs tapissés de motifs baroques, un tapis persan, et un immense baldaquin. Sur lequel je suis allongée. C'est à ce moment là que je me rends compte de la douceur des draps satinés sur la peau de mes bras. En me redressant, je remarque ma robe Marquise plissée qui frotte contre les draps. Soudain je me sens anormalement à l'étroit dans le corsage en dentelle m'empêchant de respirer. Je sens une boule se former au creux de mon ventre tandis que j'essaie de m'apaiser. J'observe le tulle couleur bronze, plongée dans mes pensées, lorsque des bribes de souvenirs me parviennent petit à petit. Le bal. La salle de bal était entièrement déserte. Puis la musique s'est arrêtée. Et les Z sont apparus. Je sens immédiatement mes yeux me brûler de l'intérieur, comme piqués par des milliers d'aiguilles invisibles. Les Z étaient face à moi. Leur chef était à ma portée. Et... Shawn. Jamais je ne me suis autant sentie trahie. Soudain, tous les mots qu'il a pu prononcés jusqu'ici, tout les gestes qu'il a pu esquisser à mon égard, tous ces souvenirs ne sont plus qu'amertume et cuisante déception. Seulement, malgré tout, je me vois obligée de reconnaître la douceur de cette trahison. Shawn a su m'amadouer, me faire oublier toutes les horreurs que j'avais vécu le temps de quelques instants, pour mieux me livrer à l'ennemi. Tout était calculé. Il est parvenu à ouvrir mon âme au monde pour mieux la condamner. Il est parvenu à me tirer de ma torpeur et de ma solitude, dans la plus silencieuse hypocrisie, pour mieux me regarder retomber aux enfers. Toutes ces années passées à fuir le monde comme la peste, à m'effacer pour survivre. Toutes ces années balayées en un battement de cil. En quelques mots doux. En un sourire ravageur. Pas qu'un simple couteau planté dans le dos. Une magnifique dague. La plus belle dague qui soit. Je vois d'ici le regard de mépris qu'Aiden aurait posé sur moi. Tu as été faible. La vérité, c'est que je suis faible. Je l'ai toujours été. Pas depuis l'assassinat de ma famille. Depuis toujours. J'ai toujours su que je l'étais. Aiden a bien essayé d'y remédier. Toutes ces années passées à m'enseigner l'art du combat. La survie n'avait plus aucun secret pour moi. Jusqu'à Shawn.

- T'as enfin décidé de te réveiller.

Malgré mon esprit embrumé je parviens à me relever en une fraction de seconde et pivoter sur moi même en position de garde. Je m'apprête à affronter l'inconnu qui se dresse devant moi mais seul le regard indifférent de Morgane me fait face. Elle est assise de l'autre côté du lit, le menton entre ses mains. Je ne lui ai jamais vu une mine aussi affreuse depuis que je l'ai rencontré. Elle porte une longue robe de tulle noire parsemée de perles qui se croisent en un motif fleuris au niveau du bustier. Ses cheveux lui tombent sur le visage en des mèches poisseuses de sang et ses épaules découvertes par le corsage de sa robe sont meurtries par des dizaines d'entailles. Lorsqu'elle prend la parole à nouveau, sa voix est lasse, et elle semble peiner à respirer.

- Comment tu te sens? me demande-t-elle avant d'être prise d'une quinte de toux.

- Je... bien. Mais tu ne peux pas en dire autant.

J'avance doucement vers elle avant de m'asseoir au bord du lit.

- De quoi te souviens-tu exactement? m'interroge-t-elle.

En voilà une excellente question. Mais je doute que ma réponse soit la bonne. La dernière chose dont je parviens à me souvenir en dépit de tous mes efforts est la tentative de Drake de tuer son frère. Malgré toute la rage que j'éprouvais à ce moment-là à l'égard de Shawn, mon cri est sorti par réflexe. Je me souviens avoir hurlé à pleins poumons en espérant que Shawn se retourne et se défende. Je me souviens des émotions mitigées qui s'étaient mises à exploser subitement en moi à ce moment là, avant que je ne m'effondre. Et que tout le monde s'effondre au sol par la même occasion. Et puis plus rien. J'avais l'impression que mon sang bouillonnait dans mes veines et que mon cœur ne pouvait plus supporter la charge émotionnelle des sentiments qui m'avaient animé à cet instant. C'était comme si... ce surplus d'émotions ne m'appartenait pas. Comme si soudain mon cœur était devenu trop étroit.