20. À la maison

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Il perd peu à peu ses couleurs. Et au moment où je m'apprête à lui demander ce qui ne va pas, il me coupe :

— Pourquoi pas ? Après tout, les tiennes sont blanches. Personne n'a jamais dit que les dragons devaient avoir une couleur spécifique. Ça ne signifie rien.

Je hoche la tête, sondant son regard. Je le sens mal à l'aise, mais pourquoi ? J'ai l'impression qu'il me ment. Qu'il y a, effectivement, une signification derrière ces couleurs.

Je tourne la tête, comprenant que je me trouve face à un énième secret. J'ai hâte de rentrer chez moi, pour retrouver les yeux pétillants de mon père, ses blagues souvent ratées et son air serein. Ma jument aussi me manque, Nuage, je labourais les champs avec elle. C'était un peu comme mon amie, ma seule compagnie.

Je réfrène la vague de mélancolie qui tente de me submerger et me concentre sur les propos du prince.

— Si ta mère se sent mieux, nous devrions continuer. Il ne reste plus beaucoup de trajet à faire, nous y sommes presque.

J'acquiesce aux paroles d'Adrian. Plus vite nous arriverons, moins ce sera douloureux pour nous tous.

Il appelle les deux autres, puis se rassied à côté de moi. Je n'ai de la force que pour lui lever un sourcil, ce à quoi il répond par un haussement d'épaules. J'ai envie de m'assoupir, là, dans cette calèche, mais nous sommes bientôt arrivés, je dois rester éveillée. Je dois tenir, pour mon père, pour ma mère, pour ma famille.

Je vois Yanos entrer, nous regarder tour à tour, puis s'asseoir finalement en face de moi. Ma mère, désormais le visage un peu plus coloré, prend place sur le dernier endroit restant.

— J'ai Yanos pour moi toute seule, plaisante-t-elle une fois la portière refermée.

— J'en suis ravi, madame, mais je préfère votre délicate fille. Et puis, vous avez déjà un mari, répond-il sur le même ton avec un sourire.

— Dommage. Mon prince ?

Il lève le regard, un peu perdu – il n'a pas écouté leur conversation.

— Je vous demande pardon ?

— Rien, lui dis-je en posant ma main sur son avant-bras. Ils disent des bêtises.

Je sens mes paupières lâcher, la fatigue engourdir mes muscles. Le regard jaloux de Yanos sur notre léger contact m'arrache une grimace incontrôlée.

Je commence à m'endormir, trop faible pour m'en empêcher. Ma tête bascule sur l'épaule d'Adrian, et... plus rien.

•⚔︎•

— Ciel ? Nous sommes arrivés.

Les murmures du prince me tirent de mon sommeil. Je relève lentement le front, encore paresseuse.

— Allez, viens.

Il prend mes mains dans les siennes et me tire jusqu'à l'extérieur. La nuit fraîche me réveille un peu, en tout cas assez pour détacher mes doigts des siens et marcher un peu.

Je lève les yeux, et...

Ma maison. Elle est là, juste là. Je tourne la tête, je vois les champs. Quelques pousses commencent déjà à sortir des premières rangées. De l'autre côté, la grange. Et la maison.

Je cours presque jusqu'à la porte, trop pressée de retrouver mon chez-moi. Je toque trois grands coups, ça me paraît bizarre, de toquer chez moi. Ce n'est pas naturel. Mais après tout, peu de choses le sont à mes yeux, désormais.

Le visage suspicieux de mon père apparaît derrière la brèche entrouverte. Il détaille ma tenue, j'ai remis la robe verte d'hier tellement je la trouvais jolie, puis enfin il me reconnaît.

Les Derniers DragonsWhere stories live. Discover now