51. Ne m'appelle pas « mon cœur »

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Ciel

— Ophiucus ! tonné-je, faisant sursauter le cheval que je monte, et arrachant une réaction à l'Alpha jusqu'ici indifférent.

— Quoi, encore ?

— Encore, encore ! Ça fait une heure que j'essaye d'attirer votre divine attention sur le fait que les hommes sont épuisés et réclament une pause ! Nous ne nous sommes pas arrêtés une seule fois depuis l'aube, alors soit vous faites une pause avec nous, soit...

— Soit ? me taquine-t-il, ayant rapproché son cheval du mien, et laissant à Adrian le soin de diriger notre imposante escorte.

— Soit je vous fais descendre moi-même !

— Tout doux, Ciel, m'apaise Yanos qui nous a rejoints. Il fait toujours comme ça, et à chaque fois tout le monde râle. Pas besoin d'en faire toute une histoire.

— Mais...

Je n'ai pas le temps de protester qu'Ophiucus élance sa monture pour reprendre la tête de la meute, un horrible sourire victorieux aux lèvres, son collier rebondissant sur sa poitrine.

Chacun enfourchant nos chevaux, nous avons convenu d'aller tous ensemble en Russie, voyageant dans le cœur des forêts et esquivant au mieux les villages pour dissimuler notre groupe désormais au compte de trente.

L'Alpha a naturellement pris la tête, escorté par Adrian, et je suis restée juste derrière, suivie de près par Yanos qui s'est taillé une certaine réputation de loup dissident. L'étrange lucidité de sa transformation n'est pas passée inaperçue, et depuis il est devenu le centre des railleries et conversations. Pourquoi n'a-t-il pas subi une transformation normale ? Est-ce que Ophiucus, en secret, l'aurait nommé sous-Alpha ? Quel est le secret de son injuste tricherie ?

Mon ex-garde m'a confié qu'il n'en savait pas plus que ses camarades, et qu'il avait été le premier étonné à constater qu'il maîtrisait ses pensées. Pourquoi ? Il avait répondu par un haussement d'épaules.

— Je ne vais pas m'en plaindre, m'avait-il avoué. C'est bizarre, mais ce n'est pas pour me déplaire. Le plus illogique, c'est que j'ai souffert comme quelqu'un de mon rang... Comme si j'étais partagé en deux. Enfin bon. Au moins, je ne suis plus un simple général sans super-pouvoir.

J'avais levé les yeux au ciel, exaspérée de sa nonchalance. Il est tout de même un loup-garou ! Mais sa nouvelle condition ne semble pas le déranger, au contraire. Il est heureux de s'être dévoilé plus que banal mortel.

Je ne comprendrais décidément jamais les raisonnements de Yanos.

Mais pour le moment, j'agrippe de toutes mes forces l'attache de ma selle pour contenir ma rage. Ophiucus est un homme très intelligent, mais aussi redoutablement vicieux et imbu de lui-même. Il aime dominer, et ne se prive pas de le prouver. Ce qui m'agace très fortement.

J'essaye de me distraire en détaillant le dos d'Adrian, devant moi. Je regarde les reflets dans ses boucles brunes, imaginant ma main glisser dedans pendant que je l'embrasse. Je fixe son dos, ses épaules, sa chemise autrefois blanche ne laissant deviner qu'à peine ses muscles que je sais magnifiquement taillés.

Je laisse mes pensées vagabonder outrageusement, alors que je repense à ce que j'ai ressenti hier, dans la rivière. Je ne me sentais plus fille, mais femme, dans ses bras – je me sentais surtout aimée. Rien qu'en repassant ses paroles dans ma tête, « Je t'aime aussi », je suis envahie d'une douce chaleur ravageuse dans mon ventre et mon cœur. Mes poils se hérissent, un frisson parcourt mes bras, mon souffle se bloque. Mes jambes s'engourdissent, et heureusement pour moi, je suis bien assise sur Nuage, qui transpire à force de chaleur et d'efforts.

Les Derniers DragonsWhere stories live. Discover now