52. Les ruines de Russie

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Trois semaines s'écoulent. Enfin, je crois. J'ai perdu le compte exact des jours. Mais je sais que ça fait assez longtemps pour que la lune ait accompli un cycle entier, et arbore de nouveau sa rondeur annonciatrice de loups.

— Ciel, répète-moi le plan pour ce soir, m'ordonne Yanos, l'air grave et angoissé.

— Dès que l'un de vous commence à s'agiter, Adrian, Milène et moi nous cachons dans la forêt et traçons un cercle de sécurité autour de nous, soupiré-je. Nous attendons que le soleil soit vraiment levé, et interdiction de sortir de l'anneau magique ou de nous approcher de la meute. Interdiction d'intervenir, même si tu hurles de douleur.

— N'oublie pas de vérifier que les chevaux sont à l'abris.

Ses yeux verts se posent partout et nulle part. Yanos est atrocement stressé pour sa deuxième pleine lune – en fait, il s'inquiète surtout pour nous. Il a terriblement peur de nous blesser. Et malgré mes paroles qui lui assuraient que nous sommes parfaitement capables de nous défendre en cas d'attaque, il ne m'a pas écoutée et m'a forcée à promettre de faire tout ce que j'ai énoncé.

Il porte ses doigts à sa bouche et se ronge nerveusement les ongles. Depuis ce matin, il a une mine affreusement pâle, et est d'humeur encore plus sensible que d'habitude. Il a carrément fondu en larmes lorsque j'ai marché sur une fleur.

— Yanos, relaxe, dis-je doucement. Tu ne blesseras personne.

— T'en sais rien, aboie-t-il. Peut-être que la dernière fois, c'était juste un hasard. La chance du débutant.

— Mais non, je suis persuadée que tout va bien se dérouler. Seulement si tu arrêtes de paniquer.

— Ne me dis pas ce que je dois faire !

— Sous-fifre ! Si tu t'en prends à Ciel, je te réduis en bouillie avant que t'aies le temps de voir la lune ! crie Adrian depuis l'endroit où il est assis.

— La ferme ! rétorque Yanos.

Exaspérée, je pince l'arrête de mon nez et tente d'ignorer les piques qu'ils se lancent. Ils ne se détestent plus, c'est vrai : mais ils ne s'apprécient pas vraiment. Ou du moins, ils agissent comme tel.

— Je m'en vais. Vous m'énervez trop, bougonné-je en m'éloignant.

Au loin, Milène me fait un signe et me demande si ça va du bout des lèvres. Je lève le pouce, puis passe ma main sur mon front l'air de dire « J'en peux plus », ce qui nous arrache un sourire à toutes les deux. Je décide d'aller à la rivière, le soleil d'été agressant douloureusement ma peau. De grandes plaques rouges s'étendent sur mes épaules et mon visage, comme quand je passais trop d'heures dans les champs lors des fortes chaleurs, à l'époque.

À l'époque. Aujourd'hui, tout est tellement différent, tellement... mieux ? Pire ? Impossible à dire. Trop de facteurs entrent en jeu.

Heureusement pour nous, nous suivons à peu près le même chemin que la rivière, d'après la carte d'Adrian, ce qui nous offre une source pour l'instant inépuisable d'eau fraîche. J'entends déjà les coulis caractéristiques, et presse le pas, l'envie de me sentir propre de plus en plus pressante.

Une fois sur la berge, je m'assure que personne n'est là – je n'ai pas franchement envie de croiser un loup dans ma tenue d'Ève – et me déshabille en quatrième vitesse avant d'entrer dans la rivière, foulant la boue et les cailloux qui glissent entre mes orteils, l'odeur agréable de la forêt et de l'humidité occupant mes narines. Une fois totalement immergée, je laisse échapper un soupir, contenu depuis sûrement un bon moment.

Je profite de la profondeur pour nager un peu, suivant le cours de l'eau qui m'emporte naturellement. Au bout d'un petit moment, j'arrive finalement dans un endroit moins mouvementé, où un bassin s'est formé sur l'une des rives, véritable petite oasis tranquille. Je viens m'y réfugier pour m'accouder sur les pierres, envahie d'un puissant soulagement dû au calme que confère la solitude.

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