59. Le serment des éléments

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J'avoue que c'est quand même avec une certaine forme d'appréhension que je rejoins le groupe, accompagnée par une trentaine d'yeux plus ou moins en colère selon leur rang dans la meute. Et je crois bien que celle de Yanos est la pire – non seulement ça m'écorche le cœur, mais en plus j'ai la drôle d'impression d'avoir quelqu'un d'autre face à moi, quelqu'un qui n'est pas lui.

Vivement qu'ils brisent ce fichu Lien de la Lune. Vivement qu'on me rende le Yanos qui souriait sans cesse, et qui se chamaillait en permanence avec le prince pour savoir qui obtiendrait mon cœur. Même si c'était agaçant, au moins, c'était mieux que de supporter sa haine.

Je joue légèrement des coudes et me dirige tout droit vers Adrian, me sentant comme une faible créature prête à être dévorée. Dès que je suis à ses côtés, je me cale contre son corps et glisse mes bras dans son dos, m'accrochant à lui comme à mon dernier espoir, sentant son corps chaud et musclé s'emboîter parfaitement avec le mien. Il vient doucement caresser mes cheveux, et le groupe retourne petit à petit à ses occupations. À savoir, traquer du gibier pour faire un repas, ramasser les quelques baies encore bonnes, panser les chevaux fatigués et, bien évidemment, faire des messes basses en jetant des coups d'œil dans ma direction.

Clarté, qui était partie je-ne-sais-où, apparaît juste à côté de nous. J'ai une terrible envie de l'ignorer, d'ignorer la terre entière et rester contre mon Adrian jusqu'à ne devenir qu'un atome d'amour et de solitude, mais je prends sur moi et me détache en inspirant à fond.

Personne n'a jamais dit qu'être l'héroïne était facile... et encore moins enviable.

— Clarté ?

— Je vous dois quelques explications, reconnait-elle de son beau timbre. Concernant le serment que j'ai partagé autrefois avec ma sœur.

— Il serait préférable que tout le monde y ait droit, dit Adrian. Nous ne sommes pas les seuls à avoir vu ce que nous avons vu.

— Tu as raison, sourit mon élément en inclinant la tête vers mon prince. Je vais regrouper tout le monde. Une longue discussion s'impose à nous.

Elle écarte les bras en croix, comme si elle s'apprêtait à enlacer quelqu'un, et ouvre la bouche pour parler d'une voix magnifiée par la magie.

— Que chacun s'approche et s'installe en cercle !

La meute nous dévisage quelques secondes mais consent à obéir. Lentement, les hommes se rapprochent et forment petit à petit un cercle.

— Asseyez-vous, je vous prie, propose Clarté avec un geste de la main gracieux.

Dans un seul et même mouvement, nous nous laissons tous choir sur la terre et les feuilles, suspendus aux lèvres de Clarté qui nous couve d'un regard bienveillant.

— Suite à ce qui s'est passé aujourd'hui, des explications et des réconciliations sont à faire. Une grande tension règne entre nous tous, ce qui nous est défavorable. Nous devons rester soudés si nous voulons être forts.

Ses yeux sondent l'assemblée, intelligents, sages, bleus comme le ciel – bleus comme les miens.

— Obscurité est ma sœur. Notre mère, si je peux l'appeler ainsi, est la magie elle-même. Nous ne sommes que des parties d'elle, des éléments qui ensemble forment un tout. Et nous existons depuis longtemps, très longtemps. Bien plus longtemps que vous ne pourriez l'imaginer. Depuis la création de l'univers, environ.

Quelques sifflements admiratifs s'élèvent, soulevant une vague de rires dans le cercle. Je ne peux m'empêcher de pouffer, moi aussi, et de rester pétrifiée d'étonnement. Depuis la création de l'univers ? Mon pauvre cerveau de paysanne n'arrive même pas à imaginer ne serait-ce que le reflet d'un tel âge.

Les Derniers DragonsWhere stories live. Discover now