34. La goutte de trop

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Où aller ?

Je vole, sans savoir quoi faire, tache blanche dans l'immensité noire de la nuit. Comme une lune ailée, une lumière intruse et fantomatique. Douce. Pâle. Cadavérique. Surnaturelle.

Yanos est suspendu entre mes bras draconiens, criant – de joie ? de peur ? allez savoir – comme si c'était son dernier hurlement. Et moi, je vole, réfléchissant à toute allure, mais ne trouvant toujours pas de solution à mon problème.

Que faire, maintenant ?

Nous survolons la ville avec une paresse et une agilité semblable à un rêve. Tout est plongé dans le noir, et çà et là, des petites lumières flamboient encore parmi les habitants endormis.

Mon cerveau transformé est tellement rapide, tellement vif, qu'un humain ne pourrait rien en comprendre. Le présent n'a même pas le temps de devenir futur qu'il est déjà passé. En un battement d'instant. De cœur.

Je décris de larges cercles, perdue. Je ne peux pas rentrer au château... Pas après ce que je viens de faire. Comment va réagir Adrian ? Le roi ? Et les bourgeois ? En fait, j'ai créé plus de problèmes que je n'en ai résolus.

La ferme de mes parents ? Non, Ciel. Et puis quoi encore ? Débarquer en dragon avec un condamné derrière moi ? On a vu mieux comme retrouvailles.

Je n'ai nulle part où aller. Je n'ai plus d'endroit où je suis... à ma place.

Mon cœur se serre douloureusement. Je n'ai pas le choix, je dois retourner au château. Après tout, peut-être qu'avec une quelconque chance, tout rentrera dans l'ordre.

Mais est-ce vraiment ce qu'il faut faire ? Remettre les choses en ordre ? N'est-ce pas le rôle de l'élue de bouleverser les temps ? De changer ?

Je suis assaillie par des questions tellement lourdes que je n'arrive pas moi-même à les gérer. Je bats des ailes à contrecœur vers là d'où je viens, en direction de la tour ouest.

Clarté, seras-tu là pour m'aider ?

En moins d'une minute, je me pose gracieusement et sans bruit derrière la rambarde en pierre. Je laisse Yanos se remettre de ses émotions, et calme la magie bouillonnante dans mon corps. J'entame la transformation inverse, retrouvant un rythme de pensées normal et une taille correcte. Et surtout, une apparence bien plus présentable.

— Yanos, tu vas bien ?

Il est un peu plus loin, haletant, les mains sur les genoux. Son visage est aussi blanc qu'un linge, si bien qu'il semble presque briller dans l'obscurité.

— Est-ce que je suis mort ? On est au paradis ? Parce que le voyage était un peu rude.

— Non, Yanos, tu n'es pas mort. Tu es vivant, et nous sommes dans un drôle de pétrin.

Il prend quelques secondes pour réfléchir à notre situation avant d'éclater d'un rire nerveux.

— C'est un euphémisme. Je crois que j'aurais presque préféré mourir.

Douleur. Coup de poing dans le ventre. Morsure dans la jugulaire. Ses paroles me font reculer de quelques pas, sonnée par leur violence.

— Comment... peux-tu dire ça...

— Ciel, je...

— Comment peux-tu dire ça ? crié-je en m'éloignant un peu plus. Je t'ai sauvé, j'ai mis en danger ma vie, le palais, la famille royale pour t'épargner la mort, tu ne peux pas... peux pas dire ça ! C'est injuste ! C'est ignoble !

— Pardon... Merci, Ciel, je...

— J'en ai assez, Yanos, assez ! je hurle sur son visage de plus en plus déformé par les regrets. Je suis fatiguée, fatiguée d'être l'élue, de ne jamais être à la hauteur, de ne jamais prendre les bonnes décisions, comme si ça ne me suffisait pas d'être rejetée par mon père ! Je n'en peux plus. J'en peux plus. J'en peux plus...

Les Derniers DragonsWhere stories live. Discover now