49. Aveux troublants

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Yanos s'avance doucement, l'allure plus bestiale que jamais. Les crocs à découvert, il grogne et feule en nous fixant un à un.

Pitié, faites qu'il reste encore un peu de lui-même sous ce loup...

Il plonge ses yeux dans les miens. Le vert rencontre le bleu, la forêt touche le ciel. Un éclair de lucidité et d'affection semble traverser ses pupilles, mais trop furtif pour que j'en sois sûre. Il prend légèrement appui sur ses pattes, comme prêt à bondir, et ouvre la gueule en même temps qu'il redresse le museau pour lâcher un puissant hurlement à la lune.

Aveuglant. Glaçant. Impressionnant. Un frisson me chatouille le dos à l'entente de ce son déchirant. Je crois que c'est à ce moment que je prends pleinement conscience que Yanos est un vrai loup-garou, définitivement, irrémédiablement. Qu'il ne sera plus jamais le même.

Il reprend son souffle après sa longue plainte, puis redirige ses yeux vers nous. D'une voix presque inaudible, il crache :

— C'est d'accord.

Un puissant soulagement me fait échapper un soupir. J'ai presque envie de pleurer de joie. Alors, il nous reste une chance. Nous allons pouvoir accomplir la prophétie.

— Merci..., murmure Adrian, si bas que je ne fais que le deviner sur ses lèvres.

— Alors c'est décidé, reprend l'alpha. Nous acceptons. Nous allons collaborer.

Puis, claquant des mâchoires, il ajoute :

— Il faudra peut-être songer à ne plus s'entre-tuer.

Un sourire, aussi surprenant et déformé soit-il, naît sur les babines du loup blanc, auquel nous répondons timidement, encore un peu mal à l'aise face à ces créatures que nous ne connaissons pas assez.

•⚔︎•

Nous avons convenu de les retrouver à la même clairière une fois le soleil levé et les loups disparus. J'ai tenté d'ignorer les cris d'agonies et les craquements d'os qui parvenaient même malgré la distance – en vain. Clarté et Obscurité sont parties depuis bien longtemps, n'ayant plus besoin de leur aide. Pour le moment, du moins. J'avoue que ça allège un peu l'atmosphère, de ne plus avoir deux éléments de magie brute à nos côtés, dont l'un qui ne cesse de nous regarder comme une souillure sous sa botte.

Milène s'est isolée au bord de la rivière pour se nettoyer en toute intimité, me laissant avec Adrian, tous deux aussi sonnés l'un que l'autre. Voyant son air un peu perdu et effaré, je l'ai pris tout contre moi et l'ai serré dans une étreinte chaleureuse. Son visage s'est instinctivement enfoui dans mon cou, et ses mains se sont accrochées à moi comme s'il craignait de tomber. J'ai écarté le col de sa chemise sale, et entreprit de déposer de doux baisers sur la peau dévoilée de sa clavicule.

— Au fond, il est pas si mauvais bougre, le sous-fifre, bougonne-t-il après un long moment.

— Depuis le temps que je te le répète...

— Ça m'a fait de la peine de le voir... comme ça. Dans cet état.

— Commenceriez-vous à appréciez votre général, majesté ? je le taquine en glissant mes mains le long de son large dos.

— Jamais de la vie, réplique-t-il en se collant encore plus à moi.

— Tu vas m'étouffer, Adrian, si tu continues.

— Au moins, tu mourras dans mes bras.

Ses mots m'atteignent directement en plein cœur et font monter mes larmes. Il craint pour ma vie, autant que je crains pour la sienne. C'est un peu sa façon à lui de me dire qu'il tient à moi.

— Adrian, je... je...

Mes paroles se coincent dans ma gorge. J'aimerais tant pouvoir les prononcer ! Lui dire à quel point j'ai besoin de lui. Il est entré dans ma vie avec grand fracas, y a semé le trouble et les problèmes, et y a apporté un sentiment que je n'avais jusqu'alors jamais connu : être amoureuse.

— Dis-le, murmure-t-il dans mon oreille de sa voix grave et suave qui me fait sortir de mes gonds.

— Je...

— Dis-le, répète-t-il presque comme un supplice.

— ... Je t'aime.

— Oh, mon ange, dit-il en m'écrasant contre son torse et scellant ses lèvres aux miennes.

Emportée dans le tourbillon de sa passion, je n'entends même pas Milène revenir. Je sens juste les doigts baladeurs d'Adrian sur moi, son haleine qui se mêle à la mienne, et sa bouche, seigneur, sa bouche !

— Beurk, pas ici, les tourtereaux ! s'indigne-t-elle en revenant vers notre campement de fortune.

— Tu pouvais pas rester là-bas plus longtemps ? râle mon prince en se détachant à contrecœur de moi.

— C'est bientôt l'heure, et vous êtes aussi sales que des cochons. Je voulais vous laisser le temps de vous débarbouiller avant de rejoindre la meute des loups.

— Excellente idée, s'écrie-t-il en attrapant ma main. Viens, allons nous baigner, Ciel.

— D... D'accord, mais...

Il ne me laisse nullement le loisir de protester et m'entraîne à sa suite en trottinant. Nous sommes à la rivière en un rien de temps, l'eau claire et fraîche n'attendant plus que nous.

Prise d'une soudaine envie joueuse, je susurre à l'oreille d'Adrian :

— Le dernier dans l'eau a perdu...

Puis, rapidement, je quitte les vêtements qui recouvrent mon corps et cours sans hésiter.

Mince, elle est drôlement froide ! je songe, plongeant la tête sous l'eau. Je bats des bras et des jambes pour gagner en profondeur, grelottante, mais soulagée de pouvoir enlever toute cette crasse.

Peu après, un grand « plouf ! » résonne juste à côté de moi, m'indiquant qu'Adrian a plongé. Je nage jusqu'à lui, et explose de rire devant son air renfrogné.

— J'ai pas perdu, déclare-t-il, boudeur.

— Votre altesse est mauvais joueur ?

— VENGEANCE ! crie-t-il en m'attrapant soudainement et me renversant dans l'eau, s'emportant lui-même dans son élan.

Hilare mais buvant la tasse, je commence à tousser violemment en même temps que lui. Nous nous éloignons un peu juste le temps de calmer nos éclats, et à force de minutes, nous redevenons sérieux.

— Je t'aime, répété-je, heureuse de pouvoir le dire.

Il nage jusqu'à moi et me prend dans ses bras. Contrairement à moi, cet idiot a pied, et peut aisément libérer ses mains sans risquer de couler. Je m'agrippe à lui, enroulant mes jambes autour de son corps tout aussi nu que le mien, nos peaux désormais fraîches s'emboîtant parfaitement.

— Je t'aime aussi, avoue-t-il finalement après d'interminables secondes.

C'est comme une explosion silencieuse à l'intérieur de mon corps. Je produis malgré moi un drôle de son, entre le sanglot et l'exclamation joyeuse, et m'empresse de l'embrasser de tout mon saoul, avide de tendresse qui m'a manquée ces derniers temps.

— Dire qu'il faut attendre le mariage..., grogne-t-il.

Je ne sais pas de quoi il parle, tout ce que je retiens étant le mot « mariage ». Mais je ne dis rien, ne voulant pas briser cette rare bulle parfaite. Son visage, tout près du mien, son odeur, mélangée à la mienne, son corps, mon corps, et ces sensations puissantes et incroyables qui vibrent sur chaque millimètre de ma peau. Je l'aime. Il m'aime. Je suis heureuse.

Au diable les prophéties et les âmes-sœurs – il n'y a plus que lui qui compte. Lui, et son cœur battant à tout rompre contre moi. Si vivant. Si exalté. Si pur.

Dans tes dents, Obscurité.

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