Le secret

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Lestat était resté dans sa chambre. Dans son fauteuil rouge, son visage blanc détonnait. Il était immobile avec une expression de peur irascible imprimée sur son visage. Il faisait peine à voir avec ses lèvres bleues, ses yeux vides de vie. Le silence de la chambre était pesant. Si la musique qu’il avait mis en route l’avait soutenu, elle s’était éteinte depuis longtemps. Il était seul avec Louis et Claudia partit chasser. Il attendait qu’elle vienne, la jolie mortelle portant le nom de Nicolas. Mais son esprit torturé par son retour était attaché à une autre personne, un autre corps, celui d’un jeune homme. Un beau jeune homme au teint plus coloré mais fardé de blanc comme il se faisait à l’époque. Il se rappelait Nicolas lorsqu’il était encore humain…

Il était un peu plus petit que Lestat, il avait des cheveux bruns et bouclés lorsque le temps se faisait humide. Il avait un visage plus adulte que Lestat, sûrement parce que le jeune homme en avait déjà affronté plus que le fils de marquis. Il était allé à Paris, il avait fait ses études. Il avait rencontré Mozart ! Rendez-vous compte ! Il était le garçon le plus intelligent que Lestat eut rencontré jusqu’à maintenant, et qu’est-ce qu’il était cultivé ! Nicolas connaissait tant de chose, il avait vu Paris ! Il avait tant de question à lui poser. 

Le jeune bourgeois était vêtu comme un prince, ses cheveux retenus par un ruban de soie grise, son costume était gris lui aussi, la dentelle sortait de partout comme dans une fontaine, oui c’était ça, une fontaine de dentelle, de ruban et de soie ! Lestat en était émerveillé. Il aurait aimé pouvoir voir Paris et les autres bourgeois habillé ainsi, si beaux. Lui qui était habitué aux chaussures boueuses qu’il faut raccommoder, aux chemises trop usées qui semblent sur le point de tomber en poussière. Il lui était difficile de ne pas mourir d’envie. Sans parler du fait que le fils de bourgeois avait l’auberge, il la possédait ! Il ne l’avait pas eut par un héritage en ruine, glaciale, impossible de s’y sentir bien, non, il l’avait acheté ! Lestat avait l’impression d’avoir affaire à un prince, tout simplement.

« Monsieur, je suis heureux de vous revoir. Comment est-ce dans ce manteau à la fourrure de ces loups que vous avez tués ? »

Chez Nicolas, le ton était à l’admiration et non au dénigrement comme chez Augustin mon frère aîné. J’étais face à un jeune homme qui venait de Paris, qui avait tout vu et tout fait ce qu’il y avait à faire lorsqu’on était un jeune homme riche et qu’on aimait l’art. Ma mère m’avait expliqué alors que Nicolas était un jeune homme qui tout comme moi, aimait l’art. Il adorait écouter du violon et avait appris à en faire, malheureusement il était trop tard pour lui. Il ne pourrait jamais exercer son art, avait-elle ajouté avec une pointe de nostalgie comme si elle aussi avait aimé en faire plus jeune. J’étais alors trop excité pour ne serait-ce qu’imaginer la douleur que pouvait ressentir Nicolas de Lenfant.

« Je suis très heureux de pouvoir rencontrer le jeune homme qui a vu Mozart ! Vous avez été à Paris ? Comment était-ce ? Avez-vous vu le cœur de Paris ? La cathédrale ? On la dit magnifique ! » répondis Lestat enjoué.

L’excitation était à son comble en moi. J’étais sur le point de faire une crise nerveuse des plus graves. J’avais tant envie de lui raconter la souffrance que j’avais de rester ici, lui dire à quel point Paris me paraissait magnifique, quelle haute élévation spirituelle on devait avoir lorsqu’on y allait ! Je brûlais de désir d’y aller. Nicolas était un exemple à suivre. Mais je ne pourrais jamais aller à Paris, car toutes mes tentatives pour échapper à ma famille avaient échoué.

Lestat dans le présent avait le sentiment intime de se retrouver dans cette auberge où tout avait commencé. Il avait le désir d’y rester, dans ce passé où il n’y avait aucune haine entre eux, aucune douleur, aucun remord. Il n’y avait que deux jeunes hommes qui désiraient plus que tout la vie qu’avait l’autre. Il entendis alors une musique de violon, un concerto de Mozart. Un morceau de musique lent mais bouleversant. Il eut envie de mourir en l’entendant. Il lui semblait qu’il provenait du passé, un morceau de musique qu’aurait pu jouer Nicolas. Il s’approcha de la fenêtre qu’il avait ouverte. Ce n’était plus la Nouvelle-Orléans qu’il voyait s’étaler devant lui, mais Paris.

« La capitale n’est pas aussi belle que tu le penses Lestat, elle est le cercueil de millier de pauvres incapables de subvenir à leur besoin. Elle grouille de maladie terrible. Il y règne la mort et l’inquiétude. On ne sait si on rentrera en vie chez soir. Les voleurs y sont  nombreux et ils ne se contentent pas de voler, ils tuent également. »

Mais Nicolas avait eu tord. Ce n’était pas ça qui l’avait tué, pas les voleurs, pas la maladie, ni même la pauvreté. Il était mort parce que Armand le voulait. Cet enfant vampire qui rappelait à Lestat sa petite Claudia, n’était pas aussi angélique qu’il en avait l’air. Il tuait parce qu’il se sentait seul et qu’il ne supportait plus cette solitude. Il n’y a rien de plus triste qu’un homme seul ne supportant plus d’être seul. Qu’en restait-il aujourd’hui ? Lestat n’avait jamais essayé de l’imaginer. Il avait effacé Armand de sa mémoire avec Nicolas et son violon. Pourquoi fallait-il que Nicolas soit revenu ? Pourquoi diable ce violon jouait-il frénétiquement ce concerto ?

« Nicolas, Nicolas, je crois que le moment d’or est passé. » fit Lestat en secouant la tête.

Lorsqu’il avait dit ça dans l’auberge quelques heures après, quatre bouteilles vides après. Ils s’étaient regarder les yeux dans les yeux. Le moment d’or c’était lorsqu’ils étaient si soûls qu’ils avaient l’impression d’avoir la connaissance de tous les mystères, de comprendre le monde qui les entourait, de savoir quel était leur but, de connaître la paix totale intérieure. Un moment qui portait bien son nom. Lestat et Nicolas appréciaient ce moment tout particulièrement. Il y avait à chaque beuverie un moment d’or.

« Oui, tu dois avoir raison. »

C’était la première fois où ils utilisaient ce terme, où Lestat utilisait ce terme. Il était totalement ivre et allait entamer la phase où il dessoûlait. Il n’avait plus envie de boire de l’alcool, l’odeur du vin lui était devenue désagréable. La réalité lui apparaissait, horrible et inévitable. Mais Nicolas était là. Il souriait en voyant Lestat à travers la bouteille, déformé.

« Le moment d’or… » murmura pensivement Lestat.

« Oui, c’est exactement ça. Il n’y a pas d’autre mot, pas d’autre expression qui pourrait mieux le caractériser. »

C’était un peu un moment magique comme lorsqu’un scientifique découvre une chose très importante. Lestat sourit. Il se sentait exceptionnel là dans cette auberge, accoudé à la table, ayant bu plus que son soûl, parlant avec un ami ! Un ami. Il considérait donc Nicolas comme tel. C’était son premier ami. Il n’avait jamais eu d’amis.  Ses frères étaient trop snobs pour avoir des amis ou être le sien. Il avait grandit seul dans un grand château. Il avait bien sûr un nombre incalculable de jeune conquête féminine attendant sa venue, tard le soir dans leur chambre. Il se sentait heureux et épanoui comme il s’était senti chez les moines. Là il aurait eut des amis si ses frères n’étaient pas venus le chercher, l’empêchant d’étudier et d’avoir une chance de ne pas devenir un aussi parfait ignare qu’eux.

« Je suis heureux qu’on soit ami. Tu sais pour les loups c’était juste mon devoir. J’y ai été sans réfléchir. Si j’avais réfléchit, je me serais fait dévorer. »

« Alors c’est ça le secret ? » demanda Nicolas.

Claudia ChroniclesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant