Chapitre 2 : Raviolis vapeur

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« Ch'est la cata. La cata, la cata, la cata... je grommelle, la bouche pleine.

-Tu veux finir mes raviolis ? me propose Ludwig.

-Carrément. »

Assise à côté de Ludwig sur le tas de bois à côté du restaurant de ses parents, je dévore littéralement les raviolis vapeur au sanglier braisé, spécialité régionale, qu'il me tend. A chacun sa faiblesse : pour ma part, ce sont les raviolis de Jia et Aymeric, les parents de Ludwig. Je suis incapable de n'en manger qu'un seul.

Je sais que des raviolis vapeur en guise de spécialité pour un village aussi minuscule que le nôtre peut sembler déroutant. Pourtant, l'influence chinoise de Jia sur la carte de l'Auberge de la Grange est ce qui fait tout son succès. Certes, son arrivée au village il y a vingt ans de cela a fait beaucoup jaser, mais depuis, Champigny-sur-Poitou a su s'accommoder et même apprécier les deux créations principales tout droit sorties de ce restaurant : les raviolis vapeurs au sanglier braisé, et Ludwig. Deux belles célébration de la collaboration franco-chinoise s'il en est.

Mon ami d'enfance me regarde engloutir les derniers raviolis avec son habituelle expression tranquille et rêveuse sur le visage. J'avale tout rond avant de m'avachir sur le tas de bois. Au loin, je vois des gens acheminer des lampions pour la soirée de la Saint-Jean à l'aide des vieilles Renault Kangoo qu'on utilise normalement pour la chasse. Je crois que c'est bien la première année où je n'ai pas envie de me rendre à ce rare moment d'animation à Champigny. Peut-être est-ce parce que j'ai passé l'après-midi à fuir des habitants voulant me féliciter.

« Bon. On va se marier. Des idées pour que ça ne tourne pas au désastre ?

-Non.

-Comment ça, non ?

-Tu avais l'air tellement désespérée que j'ai proposé ça sans penser à plus loin pour te venir en aide. »

Du Ludwig tout craché. Devant ma mine effarée, il marque une pause et penche la tête sur le côté.

« Oh, heu. Je suis désolé. Vraiment, tente-t-il.

-Laisse. Juste, rappelle-toi que si je suis le cerveau des opérations, c'est pour une raison.

-Bien sûr. » admet-il.

Je n'arrive pas à être en colère après lui. Ludwig est Ludwig. Il a toujours été un peu déphasé, « dans la Lune et même plus loin » selon l'oncle Pouillot. Mais pour une raison qui m'échappe, il est le seul qui n'a jamais trouvé une seule de mes idées farfelues. Il m'a toujours considéré comme le cerveau de la bande – enfin, notre bande constituée de deux personnes, et n'a jamais bronché. Pas quand je l'ai utilisé en guise de diversion pour récupérer notre ballon dans le champ du taureau du père Jean à six ans. Pas quand on a essayé de fuir du village sur le tracteur de la mère Mollat à quatorze ans. Pas quand j'ai essayé d'installer avec lui un râteau en guise d'antenne pour le câble sur mon toit à dix-sept. Jamais.

Et maintenant que j'y pense, c'est la première fois en dix-huit ans d'amitié qu'il me soumet une idée. Certes, elle sauve les apparences pour l'instant, mais plus j'y songe, et moins je vois comment nous allons pouvoir la mener à bout.

« Comment on va y arriver, Ludwig ? je le questionne. D'accord, Ginette, l'oncle Pouillot, Kaspar et les autres vont bien vouloir y croire. Mais nos familles ? Ma mère ne me croira jamais. Ni mon frère, ni...

-Où est l'arnaque ? fait subitement une voix au pied du tas de bois.

-...ma sœur, je marmonne entre mes deux.

Le mariage archi-faux de Ludwig et MaëlleWhere stories live. Discover now