Chapitre 10 : Manque d'air et robes à froufrous

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« Ça va être un désastre, annonce Spike.

-Ça va être un désastre, je renchéris.

-Tiens, c'est bien la première fois en deux semaines qu'ils tombent d'accord ! » ne peut s'empêcher de noter Maëva.

Spike et moi nous retournons comme d'un seul homme pour la fusiller du regard, et la boulangère nous adresse un sourire éclatant :

« Deux fois. »

Spike pousse un soupir exaspéré, lisant quelque chose sur sa tablette tout en pianotant sur son téléphone dans l'autre main. D'après lui, faire du « multitasking » (mot tout droit sorti du jargon citadin de Spike pour désigner le fait de faire un demi-milliard de choses en même temps) l'apaise. En le regardant, on le croirait presque dans son bureau à Manhattan, et pas dans une des chambres au style champêtre de la maison d'hôte que loue Kaspar, le touriste allemand, et où l'agent dort depuis son arrivée au village.

« Si vous n'avez rien à faire, mademoiselle Leblond, je vous rappelle que nous avons une liste de choses à faire en bas, dans la cuisine, qui ne demande qu'à diminuer.

-J'ai appris à faire des pâtisseries vegan et sans gluten pour votre Zoe Kardashian, Spike ! réplique Maëva, acerbe. J'ai passé la nuit à essayer de leur donner du goût, sans beurre ! Vous savez à quel point c'est difficile ? Le beurre est aux fondements de notre alimentation, ici !

-Estimez-vous heureuse que la venue de mademoiselle Kardashian réduise les risques de maladie cardiovasculaire, dans ce village où le médecin ne vient que deux jours par semaine ! répond Spike avec la même verve. Il nous reste encore à trouver des sels de bain bio, un diffuseur d'huiles naturelles de jujube, un bouquet de roses de cinq couleurs différentes et... »

Reniflements. Rire nerveux. C'est Marianne, affalée dans un fauteuil défoncé dans un coin de la pièce avec un ordinateur dégoté à la hâte par Spike sur les genoux, qui vient de perdre ses nerfs. Des cernes, issus d'une nuit passée à affronter une aversion face à tout ce qui est électronique pour nous venir en aide, traversent son visage habituellement si jovial. Même ses tâches de rousseur ont l'air ternes.

« De ju-jujuquoi ? bégaye-t-elle. Ça se trouve sur Amazan, ce bidule ?

-Amazon, corrige Spike sans la moindre compassion. Et non, ça se trouve sur la plateforme en ligne de la marque de la sœur de Zoe Kardashian, Kim.

-Oh, mais j'y comprends rien, moi, à vos trucs ! peste Marianne, que Maëva empêche d'un geste expert de jeter le Mac de l'agent par la fenêtre. Si l'épicerie de Ginette n'en vend pas, c'est qu'on peut très bien survivre sans, non ?

-Peut-être pour vous, mais pour mademoiselle Kardashian, c'est un impératif. »

Marianne referme l'ordinateur portable, excédée. La pauvre... N'ayant jamais vécu que pour le rugby, elle n'a jamais utilisé Amazon, Ebay, ni même le site de livraisons de pièce de tracteur ; et voilà qu'en une nuit, elle a dû apprendre à tout maîtriser à cause de Zoe Kardashian et son envie subite d'avancer sa venue à Champigny. Promis, je lui paierai un coup à boire pour compenser l'autoritarisme de Spike une fois tout ça terminé ; mais pour l'instant, j'ai d'autres problèmes plus urgents.

« Alors, est-ce que tu as choisi quelle robe porter le jour J ? me demande Maëva en ignorant Spike grogner en la voyant ignorer sa fameuse liste.

-Je ne sais pas, j'annonce d'un air catastrophé. J'ai le choix entre le sommet de la ringardise façon années 80, et l'horreur difforme des années 60. »

Le mariage archi-faux de Ludwig et MaëlleKde žijí příběhy. Začni objevovat