Chapitre 5 : Château sur la colline

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« La tante Berthe ? Mais je lui ai parlé une fois, et j'avais douze ans !

-Tu invites bien une célébrité à qui tu n'as jamais adressé la parole, non ? La tante Berthe t'a offert un lot de culottes l'unique jour où elle t'a rencontré, alors tu lui dois bien ça ! »

Sans me demander mon avis, ma mère allonge la déjà très longue liste traversant la table de la salle à manger, énumérant les invités supposés venir à mon mariage. Le nom de la tante Berthe apparaît en-dessous de celui d'une véritable foule d'inconnus, des figures que j'ai probablement croisées dans un lointain passé mais que je n'ai plus vu depuis au moins dix ans : l'oncle Bertrand, la grand-tante Marie-Françoise, Albertine, l'amie de lycée de ma mère, l'instituteur qui nous a donné cours lorsque Ludwig et moi étions les deux seuls élèves de notre classe de CE1... La liste est interminable ; et elle se tient à côté de celle établie par Teddy Spike, ce traître qui m'a laissé seule avec ma mère pour aller boire une bière chez Ginette. Pratiquement aussi longue, cette liste rajoute aux déjà très nombreux invités Zoe Kardashian, et les gens qu'elle ramènera avec elle.

Eh bien, soit. Je n'ai plus la force de protester. Pas après la journée que je viens de passer.

Qui aurait cru qu'organiser un mariage serait aussi difficile ? Même si Ludwig m'a considérablement allégé la tâche en mettant tout le village à contribution, j'ai tout de même passé la journée à courir aux quatre coins de Champigny-sur-Poitou pour valider une foultitude de paramètres. Choisir, choisir, et encore choisir ; la couleur des nappes, la couleur des dragées, la couleur des fleurs. Tout le monde a voulu s'y mettre en même temps, si bien qu'à la fin, je dois avouer avoir choisi au hasard pour avoir un peu la paix. Peut-être que les dragées seront couleur caca d'oie, pour ce que j'en sais. Je suis tellement fatiguée que ça m'est bien égal. Quand je pense que tout ce cirque reprendra demain...

Heureusement, si mon plan se déroule comme prévu...

« Bonsoir, madame Blanchard. Je passe chercher Maëlle.

-Ludwig ! Mon sauveur ! » je m'exclame, comme si mon ami d'enfance ne faisait qu'apparaître par hasard à la fenêtre de notre salle à manger.

Sa silhouette trop grande est pile à l'heure dans l'embrasure de la grande fenêtre donnant sur les champs, comme je lui avais demandé. Même en ayant été promu de « meilleur ami » à « fiancé », il n'a pas perdu cette habitude qu'il a depuis l'enfance d'annoncer sa présence à ma mère, comme s'il lui demandait la permission pour que je vienne avec lui. Qu'il fasse un mètre vingt comme il y a quinze ans, ou un mètre quatre-vingt-dix comme maintenant, il a toujours fait comme ça.

Seule nuance par rapport au demi-milliard de fois où Ludwig est apparu à notre fenêtre de la sorte : il tient des fleurs. Des coquelicots, probablement ramassés sur le chemin de chez lui à chez nous. Ce n'est pas ça qui manque, en ce début d'été.

« C'est pour Maëlle ? fait ma mère d'un ton légèrement attendri, enfin distraite de sa monstrueuse liste d'invités.

-Je... Ce n'est pas assez bien pour toi ? me demande-t-il. Il n'y a pas encore de fleuriste, à Champigny, alors j'ai pensé que...

-C'est par-fait ! » je m'exclame en me levant.

Certes, je surjoue un peu – mais même les coquelicots un peu frêles de Ludwig me semblent mille fois plus intéressants que la question de la présence de la tante Berthe à la cérémonie.

« Maman, je sors ! j'annonce. Je vais prendre l'air avec mon fi-an-cé. »

Je détache volontairement chaque syllabe de mon dernier mot avec satisfaction, me glissant par la fenêtre avant de passer mon bras sous celui de Ludwig. Ma mère semble un peu déconcertée, et je profite de ce bref moment de trouble pour prendre la fuite. Bye, tante Berthe ! A plus tard, oncle Bertrand ! L'heure de la liberté a enfin sonné.

Le mariage archi-faux de Ludwig et MaëlleWhere stories live. Discover now