Chapitre 9 : Bains matinaux

941 185 50
                                    

« Bouclez-là ! »

Mon cri résonne à travers la campagne, faisant s'envoler ces fichus oiseaux qui n'ont rien de mieux à faire que de brailler dès l'apparition des premiers rayons du soleil ; c'est-à-dire, cinq heures du matin.

J'ignore le coup sourd et agacé qui provient du mur de la chambre d'à côté, celle de ma sœur, en refermant furieusement la fenêtre de ma chambre. Elle a réussi à dormir ? Tant mieux pour elle, car ce n'est pas mon cas.

Pourquoi est-ce qu'il fait aussi chaud à une heure aussi matinale ? Pourquoi les oiseaux piaillent-ils aussi forts ? Pourquoi est-ce que les mots de Maëva m'ont tant embrouillé le cerveau ?

Je me laisse retomber comme une masse sur mon lit, tombant nez-à-nez avec le pansement fraîchement tombé de ma phalange, seul vestige de l'accident de l'autre jour. J'enfonce ma tête sous l'oreiller pour étouffer un hurlement.

« Tu vois, avoir l'air amoureux, c'est ça. »

Evidemment, Maëva a joué les ingénues et a refusé de m'expliquer ce qu'elle a voulu entendre par là. « Si tu n'arrives pas à comprendre par toi-même, ne compte pas sur moi pour te l'expliquer ! » m'a-t-elle lancé, assorti d'un de ses fameux papillonnements de cils dont elle a le secret.

Alors à quoi bon me balancer une chose pareille ? Qu'est-ce qu'elle insinue ? Que Ludwig serait amoureux de moi ? Non, impossible.

A tous les coups, elle sous-entendait qu'il jouait mieux son rôle que moi. Je repense à la façon de m'avoir attirée contre lui, juste après notre chute, à sa manière de s'être énervé face à Spike. Oui, c'est ça. Il jouait le fiancé inquiet. Qui aurait cru que Ludwig était un si redoutable comédien ?

Alors que je me répète ça, les mots de Ludwig, sur sa potentielle future petite amie, me reviennent en mémoire. « Qui te dit que j'ai envie d'en trouver une ? »

Nouveau cri dans l'oreiller.

Non. Non. Non. Ludwig ne pouvait pas dire ça parce que... Enfin, ça dépasse l'entendement ! Ludwig n'a jamais montré aucun intérêt particulier pour aucune fille, moi comprise. J'ai peut-être un statut spécial en tant qu'amie d'enfance, mais son comportement n'a pas changé d'un iota depuis que nous sommes censés jouer les faux fiancés. Enfin, à part lors de l'épisode de la cabane...

Je me redresse dans mon lit, jetant un œil aux affiches juste au-dessus. Depuis quelques années, déjà, les posters de boys band ont été remplacés par des images grand format des destinations où je prévois d'aller une fois que je pourrais partir d'ici. Venise. Tokyo. Miami. Vera Cruz. Ça a toujours été mon rêve : aller dans des villes où l'on ne s'ennuie jamais, pleines de gens que je n'ai jamais croisé et de choses que je n'ai jamais faites. J'ai même une liste de tout ce que je dois encore faire sous mon matelas. Être amoureuse n'est pas dessus.

Raaaaah ! Il fait vraiment trop chaud pour réfléchir !

N'y tenant plus, je m'extirpe de mon lit pour attraper quelque chose dans mon tiroir, avant de me glisser hors de ma chambre.

N'y tenant plus, je récupère quelque chose dans le tiroir de ma commode avant de me glisser hors de ma chambre. Inutile de rester à tourner en rond ici. Puisque je n'arrive plus à dormir, autant profiter des deux heures de liberté qu'il me reste avant que Spike ne me remette à nouveau à contribution pour les préparatifs du mariage.

Champigny-sur-Poitou est déjà calme par nature ; mais à cinq heures du matin, avec ses petites maisons entassées autour de l'unique route départementale qui la traverse et la lumière blafarde de l'aurore, elle prend des airs presque fantomatiques. Mais même à cette heure-là, je pourrais m'y balader presque les yeux fermés : en sortant de ma maison, il y a le passage de pierre qui passe sous la demeure de la mètre Truchot, puis la route, puis la devanture du restaurant de la famille de Ludwig, puis la grange de l'oncle Pouillot... puis plus rien. Juste la campagne. Je sais que je me suis beaucoup plainte de cette dernière, ces temps-ci, mais en traversant les champs en frappant machinalement du pied pour effrayer des serpents potentiels, je me sens déjà mieux que lorsque je ruminais dans ma chambre.

Le mariage archi-faux de Ludwig et MaëlleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant