Chapitre 14 : Caddie sur la colline

896 193 47
                                    

Au loin, quelqu'un chantonne.

« Oh mon Dieu, vous croyez qu'elle est morte ?

-Si elle vit, je promets de ne plus toucher à une goutte de la gnôle de José.

-Tu buvais la gnôle de José ? Quel poivrot, tu pourrais boire de l'huile de vidange sans problème, hein ?

-Parle mieux de ma gnôle, jeunôt !

-Si elle meurt, je me fais moine ! »

J'étouffe un grognement dans ce que je devine être un oreiller. Si ces personnes voulaient bien me croire pour morte et se faire moine d'office, ça me ferait des vacances...

Enfin, sauf la personne qui chantonne. Elle, elle peut continuer.

J'entrouvre difficilement un œil. Oh. C'est le salon de l'oncle Pouillot. Voilà pourquoi ça sentait l'huile de vidange pour tracteur et que ça parlait gnôle dans l'attroupement d'à côté. Oui, à côté : car si je suis affalée sur le canapé défoncé de l'oncle Pouillot avec un mal de crâne à m'en fendre la tête, ce n'est pas pour moi que toutes ces voix – toutes masculines – s'inquiètent.

La seule voix dont je peux affirmer qu'elle se soucie un minimum de moi, c'est celle qui chantonne : et pour cause, c'est Ludwig.

« Salut... je croasse.

-Salut. »

Je réalise que ses doigts sont entremêlés dans les miens. Depuis combien de temps ? Je ne sais pas, mais Ludwig, du peu qu'en exprime son visage, a l'air fichtrement inquiet. Mais à défaut d'arriver à grommeler que ça va, que j'ai l'impression qu'une moissonneuse m'est tombée dessus et que j'espère que Zoe Kardashian s'étouffera avec du fromage de chèvre pour m'avoir infligé indirectement une douleur pareille, je n'arrive qu'à me redresser péniblement pour le prendre dans mes bras. Comme ça.

« Je... Heu... Tu crois que le moment est venu pour un entraînement ? Maintenant ? je l'entends balbutier.

-Ah, heu... Eh bien, il n'y a pas d'heure, pas vrai ? »

Seigneur, je dois m'être prise un sérieux coup sur la tête pour marmonner un truc pareil. Finalement, je sens ses mains s'enrouler autour de mon dos, et il pousse un soupir. A moitié effondrée sur Ludwig, je profite de l'odeur de son gel douche senteur cèdre et de celle de la lessive maison commercialisée à Ginette, celle que tous nos vêtements portent. Hm. Même si j'ai encore très, très envie de m'évanouir à nouveau, j'ai déjà moins mal à la tête.

Dans l'embrasure de la porte du salon, une silhouette se dessine, en portant une autre. Des cris stridents me vrillent immédiatement le crâne.

« Beryl ! Mais lâchez-moi ! Je vais bien ! Let me go, dammit !

-Mademoiselle Beryl ! Ce n'est pas... enfin, c'est mon travail ! Je devrais porter mademoiselle Kardashian ! Je suis pompier volontaire, enfin !

-Vous l'avez entendu ! Je veux être portée par le pompier sexy !

-Je suis votre assistante, Miss Kardashian, c'est donc à moi de m'assurer de votre sécurité ! I said what I said ! »

Il n'y a qu'une seule personne avec une voix pareille pour se vanter d'être pompier volontaire : c'est mon frère, qui s'est effectivement engagé dans leur rang et a suivi leur entraînement sans problèmes. Le souci, c'est qu'il y est depuis six ans, mais que la vie à Champigny est si paisible que peu de monde se fait mal ou ne subit d'incendie ; ce qui ne l'empêche pas de frimer à ce sujet lors de nos rares sorties hors de village.

Le mariage archi-faux de Ludwig et MaëlleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant