Chapitre 19 : Placide

831 187 65
                                    

« C'est ça que vous appelez un dîner de répétition ? pestent Spike et Beryl en chœur.

-C'est comme ça que vous appelez un gueuleton à la bonne franquette, en ville ? demande l'oncle Pouillot.

-Sérieusement, Spike, ne me dites pas que vous espériez encore un mariage normal. Après presque un mois passé parmi nous, je n'arrive pas à croire que vous vous y accrochiez encore. » sourit Maëva en lui resservant une généreuse plâtrée de ragoût.

Installés à une table au milieu du bar de Ginette, cette dernière vérifie que tout le monde a bien eu sa part du ragoût des grognards – une spécialité champignarde qui ressemble à toutes les autres spécialités françaises à base de bidoche locale mijotée dans du vin. Après avoir vérifié que tous les convives en aient chacun une quantité suffisante pour s'en faire exploser l'estomac, elle lève son verre de gnôle.

« Bon, tout le monde est servi... alors santé ! Au mariage de Ludwig et Maëlle, dans deux jours !

-A la vôtre ! »

Si on m'avait dit il y a un mois que je mangerais avec une assemblée aussi étrange, j'aurais éclaté de rire. Pourtant, tous ceux qui ont participé de près ou de loin à la préparation du mariage sont là : ma mère, ma sœur, mon frère, mon oncle Pouillot, mais aussi Ginette, Marianne, Spike et Beryl ainsi que Zoe Kardashian. Cette dernière se comporte comme si notre altercation n'avait pas eu lieu et se débarrasse des bouts de viande trop grasse dans son ragoût en donnant la becquée à Alphonse. Pfff. Il n'y en a pas un pour rattraper l'autre, mais on ne pourra pas dire qu'elle ne s'est pas intégrée. Pauvre frangin...

« C'est ridicule. Vraiment ridicule, je marmonne, agacée de ne pas pouvoir intervenir sans ruiner la soirée.

-Maëlle, tu veux finir mon ragoût ? fait Ludwig, assis à côté de moi.

-Absolument ! »

Mon fiancé verse le contenu de son assiette dans la mienne avant de replacer son bras qui était jusque là discrètement posé sur le dossier de ma chaise. Maëva me regarde engloutir mon ragoût – et mes émotions négatives – en levant les yeux au ciel, mais je l'ignore : ce n'est pas le genre de plat fait pour être mangé de manière élégante.

« Tu devrais arrêter de faire finir tes repas par Maëlle, Ludwig. Un jour, elle finira par te manger toi, se moque gentiment ma mère.

-Tu parles, il ne rêve que de ça ! Maëlle pourrait le bouffer tout cru qu'il dirait merci ! rigole l'oncle Pouillot qui en est déjà à son troisième verre de gnôle.

-J'ai toujours su qu'ils finiraient ensemble ! Toujours !

-On sait, Ginette. » je rétorque, en chœur avec Ludwig.

Nous échangeons un regard avant d'éclater de rire. A ma grande surprise, Ludwig ose même m'embrasser sur le front, provoquant des gloussements autour de la table. Alors que tout le monde se ressert dans la bonne humeur, il n'y a que moi qui remarque que le regard de Ludwig se perd parfois dans le vague.

Un dîner de répétition – enfin, si on peut appeler ça un dîner de répétition – est censé réunir les deux familles des mariés, et les parents de Ludwig sont aux abonnés absents. Officiellement, ils sont censés être de service au restaurant, mais je sais bien qu'officieusement, tout est encore très tendu chez les Touillot.

J'aimerais pouvoir annoncer une quelconque bonne nouvelle pour dérider Ludwig, mais bien qu'ayant secrètement envoyé sa démo au producteur indiqué par Zoe Kardashian, aucune réponse depuis deux jours. Le seul moyen que j'ai trouvé pour le réconforter, c'est de lui demander de m'apprendre la guitare. Cela fait deux soirs de suite que nous nous réfugions dans l'enclos à chèvre et qu'il se glisse derrière moi pour m'apprendre à plaquer quelques accords de Brassens – même si généralement, la fin des chansons se perd quelque part dans la paille quand Ludwig me resserre contre lui.

Le mariage archi-faux de Ludwig et MaëlleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant