Chapitre 8 - Chacun son truc

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Assise sur un banc de pierre, je pris ma tête entre mes mains. Respirer, on savait tous le faire. On faisait nos premiers pas dans la vie en criant, faisant ainsi fonctionner notre système respiratoire, et nous la finissions en expirant notre dernier souffle. C'était un réflexe, une habitude inconsciente. Personne ne se posait jamais la question : comment on respire ? Il n'y avait pas de mode d'emploi à proprement parlé.

Mais, à ce moment-là, j'aurais voulu qu'il en existe un. J'aurais voulu accaparer les connaissances d'un sophrologue pour m'enseignait ce geste anodin. Ce n'était pas pareil qu'apprendre à marcher, courir, parler, faire du vélo, aimer. Mais la rage, dirigée envers moi-même, que je contenais m'avait fait oublier de respirer. Mon souffle semblait bégayer dans mes poumons avant qu'il ne se relâche, sentant la tension se dissiper de mon corps. Je devais me concentrer, penser à autre chose. Vider mon esprit, réapprendre des choses simples. Inspire. Expire. Souffle. Reprends vie. Libère-toi. Des mots qui se répétaient dans ma tête.

Le reste de la journée venait de passer, j'atteignais la fin de ce 7 Septembre 2020. Huit heures s'étaient écoulées depuis ce midi. La grande horloge sonnait ses vingt coups. Mais je sentais toujours cette lourdeur dans mon cœur, ce voile qui obscurcissait mon esprit et ce souffle qui disparaissait peu à peu dans mes poumons.

J'avais évité Holly toute la journée. Je pensais que ne pas la voir suffirait à me faire oublier ce qu'il venait de se passer. Éponger toute cette colère accumulée qui avait explosé à leurs dépens.

Faisait-elle de moi quelqu'un de monstrueux ?

Ne pouvais-je pas simplement me contenter de garder mon sang-froid ?

Pourtant, ce self-contrôle, que je maîtrisais à la perfection, venait de me quitter. Je devais bien l'admettre, il n'avait pas disparu en un claquement de doigts dans la pizzeria. Il s'était éteint lentement, comme un feu que l'on n'avait cessé d'alimenter. Je rejetais la faute sur mon agression, sur Stanislas, sur Lane, Oscar et Holly. Mais ce n'étaient pas eux les coupables en vérité, j'étais la seule à blâmer.

— Tu broies du noir, petite chose ?

Je sursautai, perdue dans mes pensées, je n'avais pas vu Stanislas arriver. Pas besoin d'être devin pour reconnaître sa voix grave, presque froide, qui ne se souciait pas de paraître chaleureuse. Je relevai la tête et vis, à travers l'enchevêtrement de ma crinière, l'inquiétude qu'exprimait son visage. Il avait un regard sombre, ses cheveux bruns attachés en queue-de-cheval basse sur sa nuque, il portait la même veste en cuir que la dernière fois.

Blin ! jura-t-il entre ses dents dans une langue inconnue. Tu vas bien ?

Il fallait que je me calme. La colère qui couvait en moi ne devait pas prendre le dessus. Stanislas était désormais le seul moyen de parvenir à mes fins.

— Je suis juste un peu fatiguée.

— Ça se voit. Tu devrais peut-être te reposer un peu, tu es toute pâle.

Je me relevai et époussetai le bas de ma jupe. Heureusement pour moi, j'avais pu prendre une douche et me changer sans croiser Holly. Peut-être qu'après tous ses appels manqués elle avait fini par comprendre que je ne voulais pas lui parler. Du moins, pas pour le moment, pas tant que je ne serais pas redevenue celle que j'étais. Le sourire aux lèvres, je lui répondis :

— Je rêve ou tu t'inquiètes pour moi ?

— Pas du tout ! objecta-t-il en roulant ses épaules. C'est plutôt pour moi que je m'inquiète, je n'ai pas envie de passer la soirée avec un zombie.

Je lui donnai un petit coup de coude et nous partîmes en un fou rire incontrôlable. Ma colère commençait à s'apaiser, ce qui me réconfortait. Je pouvais encore garder l'ascendant sur mes émotions.
— Bon, de quoi souhaitais-tu me parler ?
Il jeta un coup d'œil alentour, comme pour vérifier le nombre de personnes se trouvant sur l'esplanade.

Le goût d'une morsure : La MarqueWhere stories live. Discover now