Chapitre 20 - Ne jamais suivre un lapin

60 17 14
                                    

Ce fut une envie pressante qui me tira de mon sommeil au beau milieu de la nuit. Je devinais qu'il devait être tard, car je ne percevais plus la rumeur de leur conversation. Je n'osais pas m'aventurer dans l'obscurité, seule, parmi les animaux sauvages et personnes mal intentionnés qui rôdaient dans le coin. Mais plus les minutes s'égrenaient, plus ma vessie me conjura de trouver un coin tranquille pour évacuer. Prenant mon courage à deux mains, je tirais sur le zip de ma tente et sortis de celle-ci en courbant le dos.

La nuit avait apporté un tel silence que le crépitement du feu de camp était tout ce qui pouvait être entendu, comme une musique naturelle folle. Les flammes qui léchaient le bois et les étincelles rouges dansaient toutes les deux dans la brise fraîche. Seule ma silhouette se dessinait dans l'obscurité. J'avançais à pas de loup, veillant à ne réveiller personne. Je me fondis dans le bois, ne distinguant que des ombres floues à peine éclairées par un croissant de lune recouvert de nuages épars. Je fis attention de ne pas trop m'éloigner, mais suffisamment pour ne pas être dérangée. Là où je m'arrêtai, je distinguais encore la danse flamboyante du feu. Je m'accroupis et fis mon affaire.

Je me relevai lorsque j'entendis un bruissement dans mon dos. Non... ça n'allait pas recommencer. Je ne souhaitais pas me retourner, pas cette fois-ci. Deux hypothèses naquirent dans ma tête : il s'agissait d'un Albert de cinquante-trois ans qui aimait observer des jeunes filles faire leurs besoins — ce qui était écoeurant — ou un vampire, parce qu'il semblait que ces derniers temps, ils me collaient où que j'aille.

Je pestai entre mes dents, je ne pouvais pas rester figée là toute la nuit. La curiosité l'emporta et je me retournai lentement, m'apprêtant à affronter ce qu'il se trouvait dans mon dos. À ma grande surprise, il n'y avait personne. J'attrapai mon téléphone pour m'en assurer et allumai ma lampe torche.

Tout se déroule toujours de la même façon...

Je vis, dans un premier temps, deux yeux rouges qui me fixaient. Une couleur due au flash que je braquais sur l'être non identifié. Une petite bête sortit du buisson, se tenant sur ses pattes arrières, remuant son mufle pour renifler l'air — et sûrement mon odeur. Je ris presque, tout ça pour un lapin. Une adorable boule de poils blancs, un pelage particulier en cette saison. Il me rappelait Nivens McTwisp dans Alice aux pays des merveilles, bien que celui-ci ne possédait pas de montre gousset.

Attirée, je tendis ma main vers lui. Il avança sa minuscule tête vers mes doigts avant de reculer subitement et se retrancher dans son buisson. Je me sentais frustrée de ne pas avoir plus d'interaction avec l'animal, j'avançai de quelques pas et retrouvai mon compère quelques mètres plus loin. Je me dirigeai vers lui, mais il fit des petits bonds vers l'avant, me tenant ainsi à distance. Je ressentais ce sentiment inexplicable de le suivre. Je devenais peut-être folle.

Je continuais de m'enfoncer dans les bois sombres, m'éloignant un peu plus du camp. Je ne percevais plus la lumière émise par le feu, seule l'obscurité envahissait les environs. J'étais persuadée de ne pas retrouver mon chemin, et pourtant, je ne m'arrêtai pas pour faire demi-tour, ne quittant pas des yeux l'animal.

J'ignorais depuis combien de temps j'errais dans les bois, mes jambes commençaient à me faire un mal de chien. Après un quart d'heure de promenade nocturne, le lapin s'arrêta. Je pris le temps de reprendre mon souffle, ma respiration se faisait haletante. Zéro pour l'endurance.

Je m'approchai de lui à petits pas, de peur de l'effrayer. Il m'observait de ses grands yeux, nous restâmes un long moment à nous fixer avant qu'il ne déguerpisse en quelques bonds. Je n'eus pas même le temps de voir où il s'était enfui, me laissant seule au milieu de la forêt. Je n'avais pas de repères, par conséquent, aucun moyen de retrouver mon chemin.

Le goût d'une morsure : La MarqueOù les histoires vivent. Découvrez maintenant