1.3 Premiers pas

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Les vietnamiens ne marchent pas, ils roulent.

Les câbles électriques noirs et usés du district trois s'entremêlaient disgracieusement au dessus de nos têtes, obstruant le gris du ciel. 

Je lançais un regard stupéfait à Lulu. La bande de pavés déchaussés et étroite qui nous servait de trottoir s'arrêtait brusquement, nous laissant complètement démunies face au flot de scooters ininterrompu. 

C'était une intersection comme je n'en avais jamais vue... Ici, pas de code de la route. Les deux-roues déferlaient de toute part, se frayant un passage à grand renfort de coups de klaxon, comme dans un jeu d'auto-tamponneuses gigantesque.

Échouées avec Lulu au beau milieu de ce spectacle assourdissant, nous nous amusions à les tester du regard : « il passera...Il ne passera pas... ». Mais ils finissaient toujours par passer. Ils se faufilaient comme l'eau à travers la roche, ces drôles de petits bonshommes masqués - les vietnamiens portent en effet des masques en tissu colorés pour se protéger de la pollution

Parfois, pour éviter de ralentir, l'un d'entre eux surgissait de nulle part, grimpait sur le trottoir et remontait carrément la file en sens inverse, manquant de nous renverser sur son passage...

Il me faudrait un certain temps pour apprivoiser l'anarchie visuelle et auditive qui se jouait sous nos yeux. Mais déjà à cet instant, elle me fascinait. 

Plus tard, je comprendrais :  il n'y a pas plus de désordre vietnamien que de désordre français. Il n'y a que des logiques différentes. Les nuisances sonores ont une explication simple : loin de signaler un quelconque danger, le klaxon s'utilise ici pour prévenir de sa présence. 

Pourtant pour rejoindre le district un - le quartier historique d'HCMC, recommandé par le guide du routard - il faudrait bien traverser ce carrefour. 

Mission impossible. Pas un feu pour réguler la circulation. Encore moins de passage piéton, bien sûr.  Et Il devient très vite évident que personne ne s'arrêterait pour nous inviter poliment à traverser d'un geste de la main. À ce rythme là, nous pouvions encore attendre longtemps...

Soudain sous nos yeux ahuris, trois femmes vietnamiennes en ao dhai - vêtement traditionnel composée d'une robe et d'un pantalon en soie, porté par les élèves, hôtesses, ou lors des grandes occasions - nous montrèrent la voie. Elles s'élançaient dans la marée trouble et compacte de scooters en se tenant par le bras, discutant d'un air détendu, la robe violette de leur ao dai virevoltant gracieusement autour de leurs corps menus à chaque souffle de vent. 

Je retenais un cri de stupeur. Comme par magie, les scooters slalomèrent entres elles et les évitèrent. Décidément, elles jouaient avec la mort !  Je cessais rapidement de compter le nombre de fois ou elles manquèrent de finir en bouillie violette sur les pavés.... 

" Au Vietnam, le scooter est roi et le piéton n'est rien."... À première vue, je suis tout à fait d'accord. Mais c'est en fait le piéton qui est au coeur du système, et le scooter qui s'adapte en permanence aux moindres mouvements du piéton.

Lulu me dévisagea en silence d'un regard entendu qui signifiait : "On rebrousse chemin ?"

Mais déjà, sans plus réfléchir, je m'en remettais à ma bonne étoile et l'attrapais par le bras pour traverser a notre tour. 

Bravoure ou Inconscience ? Je me sentais comme grand-mère Fa, la vieille folle au criquet porte bonheur de Mulan, celle qui se bande les yeux pour traverser au beau milieu de l'agitation de la Chine. 

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District 1 

Le contraste était saisissant. Ici les rues étaient plus larges et abritaient de luxueux hôtels modernes, avec la volonté affichée de draguer les touristes des pays développés. 

Mirage au VietnamOpowieści tętniące życiem. Odkryj je teraz