7🎄L'Ange de Noël

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Ses ballerines bleu ciel battant la neige à une cadence soutenue, Angel s'enfuyait dans la rue sombre illuminée d'ampoules colorées. Sa longue robe blanche volait derrière elle et la lumière jaunâtre traversant les fenêtres des foyers encombrés de familles et d'affection éclairait son chemin sans qu'elle ne sache où il la menait. Des perles salées obstruaient ses yeux bleus et striaient ses joues avant de se mêler aux flocons tombant lentement du ciel obscur et nuageux. Sa tresse blonde, ballotée d'une épaule à l'autre dans le dos de la jeune femme, s'était dénouée pour laisser échapper ses cheveux lisses.

Les étoiles d'or pendant à ses oreilles tintaient délicatement, créant une mélodie qui gardait l'esprit d'Angel ancré sur sa course. Le froid mordait ses bras nus et rougis, mais il ne l'atteignait pas réellement, comme si les sensations physiques glissaient sur son corps sans l'affecter. Le pendentif de son collier léchait sa peau au rythme de ses foulées alors que ses bracelets se balançaient sur ses bras à chaque mouvement. Peu soucieuse de l'humidité s'accumulant dans ses cheveux et sur sa robe, la jeune femme avançait, courait, fuyait à travers les grumeaux blancs qui semblaient vouloir l'aider à se dissimuler au monde.

Les rues qu'elle traversait étaient vides de monde, remplies de silence et de blancheur. Chacun de ses pas laissait dans la neige immaculée une trace nette, comme la marque du seul désordre de cette nuit de Noël, qui était heureuse pour la plupart des habitants des alentours. Ses pieds, engourdis à force de s'enfoncer dans la neige, commençaient à la soutenir avec difficulté, mais sa douleur ne pouvait l'arrêter. Au cœur du labyrinthe de maisons, elle cherchait une échappatoire pour s'éloigner, s'égarer, créer une distance entre elle... et sa vie.

Un raz-de-marée. Un tremblement de terre. Un éboulement. Une tornade. Une fissure dans le sol qui s'était ouverte uniquement pour engloutir son existence tout entière. Pourtant, la nuit calme et enneigée, éclairée des douces lueurs de l'âtre des maisons familiales et enrobée du fumet des plats préparés avec attention, ne pouvait laisser imaginer à quiconque profitait de la soirée et de ses proches que, si près d'eux, une personne ne partageait pas leur bonheur. Angel, elle, ne pouvait concevoir d'apercevoir des visages reflétant alégresse et légèreté. Dans son cœur, tout n'était que tristesse et douleur. La joie y était étrangère.

Sans y prêter attention, ses pas la menèrent auprès du pont, qui enjambait la rivière avec solidité et fierté. Comme hypnotisée par la construction de béton et de câbles, la jeune femme ralentit sa course pour le franchir. S'immobilisant en son milieu, elle tourna la tête vers la rivière et se dirigea vers la rambarde. Glissant son pied droit hors de sa chaussure, elle le déposa sur le garde-corps sans se soucier du froid glacial qui lui étreignait la peau et estima l'équilibre qu'il pouvait lui procurer. En prenant appui à l'aide de sa main sur une structure verticale, son autre pied rejoignit le premier sur la surface métallique.

Angel plongea son regard humide dans les flots s'écoulant sous le pont. L'eau semblait engloutir avec férocité les flocons de neige ayant le malheur de s'y déposer. Le miroir obscur paraissait si intense que l'esprit embrumé de chagrin de la fugitive l'imagina comme une porte vers un autre monde. Le reflet des ténèbres. Les abysses menant ailleurs. Le néant pour une autre vie. Levant les yeux vers le ciel gris, la jeune femme observa les soyeux grumeaux blancs chuter avec grâce et délicatesse, comme si rien n'avait d'emprise sur eux, excepté leur désir d'embellir le paysage morne et incolore de l'hiver.

Ses paupières se fermèrent sur ses yeux rougis, et Angel expira lentement tout l'air contenu dans ses poumons. En déployant ses bras, elle inspira une immense bouffée d'air frais. Insensible au froid qui la tiraillait, la caresse des flocons sur sa peau l'apaisait étrangement, comme s'ils la confortaient dans sa décision sans émettre le moindre jugement. Elle imagina ses bras devenir ailes, sa peau se recouvrir de plumes blanches. Elle s'apprêtait à sauter, mais elle se préparait également à s'envoler ; loin du chagrin, loin de la douleur. Loin de la vie. Une larme glissa le long de sa joue, terne dans la nuit, visible dans la lumière des réverbères. En accord avec son prénom pour la première fois de sa vie, la jeune femme se pensa ange ; ange de désespoir, ange de souffrance. Ange déchu.

Calendrier de l'Avent 2020 [Terminé]Where stories live. Discover now