20🎄Le Tableau de Noël

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Étonné de ne pas trouver son petit-fils auprès du sapin en ce matin de Noël, Elijah le découvrit dans le couloir, occupé à contempler une peinture. Alors qu'il s'approcha, le vieil homme remarqua que la décoration en question représentait les alentours d'une fenêtre qui donnait sur une vaste étendue enneigée ponctuée de quelques sapins. De gros flocons brouillaient le paysage et le froid embuait la fenêtre, donnant l'effet d'une brume apaisante à regarder de l'intérieur. Celui-ci, richement décoré, laissait entrevoir un sapin pourvu d'ornements démodés et de rubans sobres qui bordait la fenêtre, et l'extrémité d'un canapé enseveli sous des couvertures à l'aspect doux et chaud.

Le mur de bois visible était parsemé de photos encadrées, dont le sujet était indiscernable. Un lourd tapis rouge s'étalait sur le plancher, et des bûches de bois semblaient s'être échappées de leur groupe et avaient roulé sur le sol. Un sourire s'étala sur le visage ridé d'Elijah alors qu'une bulle de nostalgie et de sérénité gonfla dans sa poitrine. Le souvenir de ce chalet réveillait toujours en lui de douces émotions, aussi enivrantes que légères. Se tournant vers le petit garçon, il demanda, comme s'il n'avait rien remarqué :

-Que regardes-tu, Scott ?

-La peinture, Papy Eli, répondit son petit-fils. C'est toi qui l'as faite, celle-ci ?

-Oui, c'est moi, acquiesça-t-il. Tu l'aimes bien ?

-Oui, je l'aime beaucoup, s'exclama-t-il, en lui décochant un sourire qui s'étirait jusqu'à ses oreilles. Est-ce que c'était beau, là-bas ?

Elijah leva la tête vers le plafond et ses yeux bruns se perdirent dans le vague pour se plonger dans sa mémoire quelques fois nébuleuse. Étourdi par ses souvenirs, il apprécia la chaleur du feu de bois et huma son odeur, il contempla la vaste étendue herbeuse et sentit la caresse du bois sous ses mains. Il observa comme s'il s'y trouvait les meubles en chêne et les cadres suspendus, la cheminée décorée de houx et de photos, son chevalet disposés au milieu du salon et les lustres rustiques. Alors que son esprit vagabondait à des kilomètres de la maison familiale, une petite main effleurant la sienne le ramena à la réalité avec délicatesse.

-C'était magnifique, déclara-t-il enfin avec conviction. Nous étions presque isolés, ta mamy et moi. Nous étions complètement cernés par la nature. Tout était vert et calme.

-Mais, Papy Eli, sur ta peinture, tout est couvert de neige, lui fit remarquer Scott.

-C'est vrai, admit le vieil homme en tournant le regard vers la représentation. C'est vrai. Mais tu vois, c'est ça, la magie de la peinture. On peut modeler la réalité pour qu'elle nous convienne au mieux. Tu vois, Mamy Patty et moi, nous étions déçus par l'absence de neige à Noël, cette année-là. Alors, j'ai décidé de la lui amener à ma manière, et je lui ai offert ce tableau après l'avoir peint.

-Waw ! s'écria le petit garçon. Alors, quand on est peintre, on est aussi magicien ?

-En effet, souffla-t-il en hochant pensivement de la tête. Je n'avais jamais vu les choses sous cet angle, mais tu as raison. On crée de belles images. On essaie d'impressionner ceux qui regardent. On fait apparaître de jolies choses de nulle part. C'est vraiment une merveilleuse sensation.

-Pourquoi tu ne peins plus, alors, Papy Eli ? voulut savoir l'enfant.

Le vieil homme braqua son regard dans celui de son petit-fils et le fixa de manière intense. Ses yeux, d'un bleu limpide, pétillaient d'innocence et de curiosité. Scrutant les prunelles de son grand-père, celui-ci pensa également détecter une pointe d'impatience naïve, comme s'il s'attendait à ce que l'adulte lui apporte une réponse spontanée et absolue. Pourtant, Elijah ne pouvait lui fournir aucune excuse valable et précise. Il supposait que les circonstances de la vie l'avaient éloignées de l'art qu'il aimait exercer, bien que la justification lui paraisse à la fois honorable et mince. Alors, il délivra l'unique réponse honnête qu'il puisse trouver :

-Je ne sais pas. Je suppose que c'est un peu la faute de beaucoup de choses, mais surtout la mienne.

-Pourquoi ? demanda Scott.

-Parce que c'est moi qui n'ai pas accordé suffisamment de temps à la peinture, expliqua-t-il.

-Pourquoi ? répéta son petit-fils.

-Je l'ignore, admit-il. J'imagine qu'un brin de talent n'est pas suffisant, et qu'il faut beaucoup de travail, du temps et de la volonté, pour se tourner vers ce genre d'occupation. Et que cette dernière a été accaparée par Mamy Patty, puis par ta maman et ta tante, et enfin, par toi et tes sœurs, et tes cousins et cousines. Ce que je ne regretterai jamais.

-Mais nous, on a papa et maman, et tata Jess et Flo, énuméra-t-il. Mamy Patty comprendra que tu aies envie de peindre, non ? Si ça te rend heureux de le faire, alors, elle sera heureuse, elle aussi.

Un sourire aussi étonné que touché se dessina sur les lèvres d'Elijah, surpris sans réellement l'être d'entendre les mots dont il avait le plus besoin de la bouche d'un de ses petits-enfants. La sagesse juvénile paraissait si confiante et instinctive, sincère et naturelle, et pourtant, elle était généralement oubliée et même tournée en ridicule. La pureté de certaines paroles dépassait tellement la complexité que la plupart des personnes aimait donner à leurs réflexions, une fois devenus adultes, qu'elle en oubliait la beauté de la simplicité.

-Tu crois que je peux devenir peintre, moi aussi ? interrogea alors le petit garçon.

-Si tu le veux vraiment, tu peux devenir n'importe quoi, Scott, répondit le vieil homme.

-Chouette ! s'écria-t-il. Alors, tu peux m'apprendre ?

-Oui, je pense qu'on peut commencer pendant que tes sœurs dorment encore, décida-t-il d'un air songeur. Allez, viens.

Ensemble, ils ressortirent le matériel de peinture d'Elijah, vestiges d'une autre vie, promesses d'un nouveau chapitre, et l'éparpillèrent sur la table. Après avoir trouvé toile et feuille de papier, pinceaux et couleurs, ils commencèrent leur besogne ; l'un de manière précise mais hésitante, l'autre avec assurance mais de façon confuse. L'un avec un maintien de pinceau expert, l'autre vacillant. L'un formait des traits nets et sûrs, l'autre créait des formes approximatives et brouillonnes. L'un s'inquiétait déjà du résultat final, l'autre se laissait porter par la liberté de son poignet.

Cependant, lorsque Scott demanda à son grand-père s'il aimait sa représentation, ce dernier répondit en toute sincérité qu'elle était la plus merveilleuse qu'il ait jamais vue. Parce qu'elle était faite avec le cœur ; l'ingrédient essentiel à toute création. Le seul qui importe réellement. L'unique qui soit commun à chaque production artistique. Le résultat visuel ne comptait pas tant que celui que l'on ressentait au plus profond de soi ; et Elijah éprouvait de la joie et de l'affection émaner des coups de pinceau de Scott. Il en dégageait naïveté et douceur, légèreté et fierté.

Depuis le salon, auprès du sapin richement décoré et entouré de cadeaux, Patty observait son mari et son petit-fils souiller peu à peu leurs vêtements de peinture, un sourire bienveillant suspendu à ses lèvres. Regardant par-dessus ses lunettes, elle contempla le bonheur de Scott qui offrit tout naturellement la peinture qu'il avait confectionnée à Elijah, sans même se rendre compte qu'en l'espace de quelques heures, il avait procuré les deux plus beaux cadeaux de Noël qui soient : le rappel d'une passion et l'amour dans son état le plus pur. Si Patty avait pu oublier leur importance, elle aussi, elle décida de garder ces instants gravés dans son esprit afin de pouvoir s'en souvenir dès qu'elle en ressentait le besoin. Comme une photo que l'on pouvait regarder à volonté. Un instant de bonheur éclairant les moments sombres. Une étincelle de sérénité. Le tableau d'un Noël synonyme de renouveau.

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NDA : Bonjour, tout le monde !

J'espère que vous allez bien.

Alors... Il est beaucoup trop tard pour que je m'étende sur ce petit texte qui n'a pas réellement une grande prétention, et qui espère juste amener un peu de douceur, et peut-être de nostalgie.

Sachez seulement que c'est le premier texte que je ne termine que la veille de sa publication. J'espère aussi que ce sera le dernier, j'étais plutôt fière de moi, jusque-là.

Bref. J'espère sincèrement que ça vous aura quand même plu.

Je vous fais de gros bisous.

Prenez bien soin de vous.

À demain, j'espère <3

Calendrier de l'Avent 2020 [Terminé]Where stories live. Discover now