26/ Démon

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      — Décris moi exactement ce que tu as vu Ashitaka.

     Hii-Sama venait de faire irruption au milieu de la foule et fixait Ashitaka avec un regard perçant. Le jeune garçon n'osait parler ici, de peur de semer la panique parmi les villageois, même s'il était déjà trop tard. Le chef de la tribu le comprit :

     — Allons parler dans un endroit plus calme.

     Assis dans la tente du médium, Ashitaka jeta un regard perdu à son père, et à sa mère, qui étaient les seuls à être entrés. Celui-ci hocha gravement la tête, l'incitant à parler. Le jeune guerrier déglutit, essayant de reprendre son sang froid.

    — Il parlait. C'était un grand orang outan, avec un pelage noir, et des yeux rouges. Il m'a adressé la parole, il était mourant. Le sang goutait à chacun de ses pas, et il avait des impacts de balles sur le corps. Crois-tu qu'il s'agissait des armes de l'empereur ?

     Hii-Sama songea, tête baissée :

     — Des arquebuses...murmura-t-elle. Il est possible en effet que l'Empereur se soit attaqué à cet animal. On dit qu'il cherche désespérément à obtenir la tête d'un Dieu. Sa chasse a peut être déjà commencé.

     — Si seulement il pouvait se concentrer uniquement sur ce Dieu et oublier complètement les Emishi, se renfrogna Ashitaka.

     Il sentit une main amicale se poser sur son épaule, et vit les yeux de sa mère se plonger dans les siens. Elle sourit faiblement, et son père mit fin à cet instant apaisant pour que le jeune homme poursuive son récit :

     — J'ai compris qu'il s'agissait bien d'un Dieu. Il semblait ressentir une telle haine envers les humains, c'était effrayant. J'ai essayé de le faire partir, mais sa haine était trop violente. Alors, il s'est métamorphosé en une chose immonde qui, avec ses bras, a essayé de m'attraper.

     — T'es tu fais toucher ? s'écria la chamane.

     Ashitaka secoua la tête, peu convaincu à présent de ce qu'il affirmait. Et s'il ne l'avait pas remarqué ? S'il était en train de se consumer à petit feu en cet instant sans même le remarquer ?

     — Que serait-il arrivé s'il s'était fait toucher ? s'exclama la mère du jeune homme, affolée.

     — Je ne le sais moi-même pas très bien...articula Hii-Sama. Je sais en tout cas qu'il aurait été maudit et qu'il ressentirait d'affreuses douleurs en ce moment.

     Ashitaka fut rassuré. Il ne ressentait absolument rien, à part de la terreur et de la pitié pour cet animal qu'il avait abattu.

     — Qu'était ce alors ? dit fermement le père d'Ashitaka.

     — C'était un Dieu mourant, transformé en Démon par la haine.

     Les Dieux, aussi sages soient-ils, pouvaient devenir d'ignobles Démons, seulement en étant rongé par la haine ? La chamane remarqua le désarroi du jeune homme :

     — Comprends-tu maintenant Ashitaka, pourquoi la haine est si mauvaise ?

     — Oui je le pense, marmonna l'intéressé.

***


     — Ashitaka !

     Il était à peine sorti de la maison de la chamane qu'il fut abordé par Kaya. Elle lui sauta dans les bras et surpris, il répondit faiblement à cet élan de compassion.

     — Racontes moi ce qu'il s'est passé Ashitaka ! J'aurais du venir avec toi, je t'ai laissé tout seul le jour où tu aurais eu besoin d'aide !

     Il prit amicalement les mains de son ami et souffla :

     — Tu as bien fait de ne pas venir...

     — Etait-ce si affreux ? insista la jeune fille.

     Ashitaka soupira :

     — Pas maintenant Kaya, je suis fatigué...

     Kaya se recula et baissa la tête, déçue :

     — Oui bien sûr je comprends.

     Le jeune guerrier rentra chez lui en compagnie de ses parents, sous le regard désappointé de son amie. Il s'affala sur une natte et ferma les yeux. Toutes les émotions ressenties aujourd'hui l'avaient exténué. Sa mère s'assit à côté de lui et le chef des Emishi se mit à faire les cent pas dans la pièce. Comment un Dieu de la forêt de l'Ouest, la forêt sacré, était-il venu jusqu'ici ? Mourant, affaibli. Etait-il à ce point, guidé par la haine ? Etait-ce un avertissement ? D'autres Démons allaient-ils venir troubler la paix de leur village ? Et que cela serait-il cette fois ? Un sanglier ?

     — Où est Yakkuru ? demanda faiblement Ashitaka, mettant fin aux questions qui assaillaient l'esprit de son père.

     — Il est dans l'écurie ne t'en fais pas, murmura doucement sa mère en lui caressant les cheveux.

     — Je suis on ne peut plus fier de toi mon garçon, ajouta le chef d'une voix beaucoup plus forte, ce qui avait don de donner mal au crâne à son fils. Tu as réussi à dompter cet élan et à combattre avec bravoure. Je ne me fais plus d'inquiétudes quant au fait de te laisser ma place de chef.

     La femme se leva brutalement et se dirigea d'un pas mécontent vers son mari :

     — Ton fils a beau être courageux, intelligent et plein de sagesse, ce n'est encore qu'un enfant qui vient de vivre une expérience difficile pour son âge. Je sais qu'il saura te succéder, mais laisse moi encore un peu le garçon insouciant que j'aime serrer dans mes bras ! Quant à toi, même si tu sais que ta place sera comblée si tu nous quittes, tu as intérêt à rester en vie le plus longtemps possible également.

     Elle lançait de lourds regards de reproche aux deux hommes de la famille qui souriait tendrement devant l'emportement de la femme aux joues rosées. Son mari lui saisit alors tendrement le bras et l'attira contre lui :

     — Comment refuser les demandes polies d'une si jolie dame ?

     Elle sourit et Ashitaka se sentit heureux à la vue de ses deux parents qui s'aimaient tendrement, en train de s'embrasser. Puis, sa tête tomba en arrière, et il plongea dans un profond sommeil réparateur. 

Origines (Princesse Mononoké)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant