9/ Nuit

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     Elle s'arrêta pour reprendre son souffle. Cela faisait déjà plus d'une demi-journée qu'elle astiquait le sol en bois crasseux du pont du bateau. Une goutte de sueur s'ajouta à l'eau du seau et elle serra l'éponge dans sa main abîmée. Le soleil brûlant sur son crâne lui donnait des vertiges et l'odeur toujours aussi nauséabonde du bateau ne lui donnait pas les idées claires.

     Pourtant, une question trottait dans sa tête. Pourquoi ce pirate l'avait-t-il sauvée ? Elle avait eu si peur de mourir, qu'elle n'avait pas tout de suite réalisé qu'elle était redevable à cet homme.

     Elle entendit des pas se rapprocher d'elle sur le pont, et elle se remit à frotter le sol avec entrain de ses deux mains. Ses autres camarades avaient pour tâche de réparer une voile immense, ou alors de préparer un repas pour le capitaine, ou de ranger les cales, ajuster les hamacs, déplacer de lourds tonneaux de vin...Mais toujours en étant surveillées par un ou plusieurs matelots aux yeux exorbités et aux pensées douteuses.

     Elle vit l'ombre d'un matelot s'arrêter juste derrière elle. Elle trembla, sentant le regard porté sur elle lui transpercer les entrailles. Elle détestait être observée, mais elle eu alors le vague espoir que cet ombre appartenait à son pirate à la peau café au lait.

     Elle tourna la tête timidement et fut immédiatement déçue par la vision qui s'offrit à elle. Elle était à moitié aveuglée par le soleil de l'après midi, mais elle reconnu très clairement l'ombre qui la dominait. Elle se remit alors au travail en essayant de ne pas penser au regard pénétrant du capitaine qui était captivé par ce corps frêle en train de s'activer sur le sol.

     Elle ne le savait pas, mais devina qu'il souriait. Il s'avança et se mit à la droite de la jeune femme qui gardait les yeux rivés au sol. Elle déglutit et se mit à frotter le sol si fort et si vite que son éponge commença à partir en lambeaux. Elle ne voulait pas qu'on lui reproche quoi que ce soit. Elle pensait à leur sabre, à la planche à côté d'elle qui dominait l'océan, aux arquebuses, et elle espéra ne pas en voir avant longtemps.

     Elle fit mine d'avoir terminé se secteur pour échapper au capitaine et prit son seau à deux mains pour s'éloigner dans la direction opposée à celle du pirate. Il ne la suivit pas, elle se cacha hors de sa portée et poussa un soupir de soulagement, se rendant compte qu'elle avait arrêté de respirer depuis un moment.

     


     La nuit tomba. La jeune femme se laissa tomber contre une paroi du bateau. Elle se sentait si faible, son repas de la journée s'était résumé à une pauvre miche de pain. Elle posa une main sur son ventre qui criait famine et fut rejointe par deux autres femmes à l'air tout aussi exténué.

     - J'ai peur... murmura l'une d'elle.

     Dans l'obscurité, on pouvait distinguer son visage meurtri et en même temps si doux, et ses beaux cheveux bruns ondulés en cascade dans son dos.

     - Je sais, ça va bien se passer d'accord ? la rassura l'autre à côté d'elle qui semblait plus âgée.

     Notre protagoniste les écouta d'une oreille distraite, en repliant ses genoux contre sa poitrine. Elle détestait la nuit. La nuit, synonyme de froid, de peur et de souffrance pour elle.

     - Pendant que je cuisinais, l'un d'eux s'est approché de moi et il m'a touché avec ses mains noires et abîmées. J'ai peur qu'il ne me fasse du mal.

     La jeune femme ne voulu rien ajouter. L'autre continua de la rassurer mais c'était inutile. Ils allaient leur faire du mal, mais elles étaient là pour cela. Elles étaient nées et vivraient pour cela.



     - Ah mes jolies, l'attente à été beaucoup trop longue pour nous, n'ayez pas peur nous ne sommes pas si cruels.

     Les dents jaunes de matelots brillaient dans le noir et toutes les esclaves s'étaient à nouveau regroupées et se serraient entre elles contre la coque du navire. Notre héroïne fut, pour la première fois, soulagée de voir enfin apparaître le capitaine, qui ramènerait sûrement un peu d'ordre.

     Il observa de son unique œil sa cinquantaine de matelots regroupés autour des malheureuses et s'écria :

     - Tous les rameurs vont dormir immédiatement, je ne veux en aucun cas les voir avec les autres matelots sur le pont !

     Les pauvres exploités se retirèrent l'air dépité et la foule se fit tout de suite moins dense sur le gigantesque navire. Le capitaine s'approcha encore plus près et observa les visages affolés de ses captives. Il resta de marbre, puis un petit sourire étira ses lèvres craquelées :

     - Choisissez en chacun une pour cette nuit.

     Il n'eut pas le temps d'achever sa phrase que les jeunes femmes se faisaient déjà emmener dans un coin du bateau, là où dormaient les matelots. Certains avaient droit à des hamacs dans la soute, mais c'était beaucoup plus rare. Le chef des pirates les arrêta immédiatement dans leur élan.

     - Sauf elle !

     Il désigna alors son esclave favorite et tous les regards se tournèrent vers elle. Ceux qui la gênèrent le plus, appartenaient à ses camarades qui furent entraînées les unes après les autres par les pirates. Toutes, sauf elle évidement. Elle était à présent seule, seule avec son maitre. Elle osa plonger son regard sombre dans le sien, sachant qu'elle était perdue elle aussi de toute manière. Pourtant, il ne la toucha pas, ne la força pas à le suivre dans ses appartements. Il la fixa intensément encore quelques minutes, puis fit volte-face et la laissa seule dans la nuit avec le bruit des vagues et des cris qui résonnaient à présent sur le pont. 

Origines (Princesse Mononoké)Where stories live. Discover now