36/ Larmes

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     Elles étaient toutes mortes. En seulement quelques semaines, il n'en restait plus aucune. C'était à prévoir évidement, mais qu'en était-il de la dernière ? Celle-ci, elle résistait toujours, et était convoquée aujourd'hui dans la cabine du capitaine. La haine qu'elle vouait à tous les matelots était tellement forte qu'elle la faisait trembler de rage à chaque fois qu'elle en voyait passer. Ils étaient tous des meurtriers et elle continuait à jouer la proie dont la vie pouvait être manipulée tous les jours.

     Elle s'apprêta à frapper à la porte de la cabine, mais celle-ci s'ouvrit avant même qu'elle ait fait quoi que ce soit. Le capitaine arborait un large sourire satisfait et l'invita à entrer. Elle s'assit sans gêne sur une chaise et lui annonça :

     — Il faut que je te parle de quelque chose...

     L'heure du dîner arriva. Elle refusa l'invitation du capitaine, donnant comme excuse qu'elle était trop bouleversée par ce qu'elle venait d'entendre. Elle avait néanmoins l'obligation de venir auprès de lui vers le milieu de l'après-midi. Elle avait très peu de temps. Elle descendit rapidement dans la soute en s'assurant que personne ne la voyait et s'arrêta instantanément lorsqu'elle entendit les ronflements sonores d'un matelot qui dormait toujours. Elle vit un bras pendre du hamac dans lequel il était assoupit, et porta son regard sur les nombreuses bouteilles d'alcool qui jonchaient le sol en dessous de lui.

     Elle s'apprêta à repartir, mais elle entendit des voix au dessus de sa tête. Des matelots s'activaient autour de la trappe, et elle ne pouvait pas se permettre de sortir de sa cachette sous le regard de tous.

     Elle était piégée. Elle s'assit sur les marches et soupira en essayant de faire le moins de bruit possible. Elle attendit de nombreuses minutes, tout en sachant pertinemment que si ce matelots avait dormi sans relâche jusqu'à maintenant, il ne se réveillerait pas de si tôt.

     Elle repensa à la conversation qu'elle avait eue avec son maitre. Même si cela représentait un avantage pour son évasion, elle avait tout de même eu des frissons dans le dos. Elle paraissait à présent dégoutée d'avoir accepté sans rechigner, mais Gonza serait heureux d'apprendre la nouvelle.

     Elle se mit alors à somnoler, le temps devenant vraiment très long. Bercée par le mouvement des vagues, elle appuya sa tête contre une marche en bois et et ses paupières se fermèrent complètement.



     Une masse l'écrasait au sol. Elle ne pouvait plus bouger. Ses paupières tremblèrent, elle n'avait pas la force de les ouvrir. Le poids étalé sur ton son corps bougeait, il rampait sur elle, lui compressait la poitrine. Elle avait du mal à respirer. Elle devait se réveiller pour se sortir de là. Elle sentit un souffle chaud, son dos la faisait souffrir, étalé et compressé contre le sol froid et dur. Ses yeux daignèrent enfin s'ouvrir et elle découvrit avec horreur l'identité de la masse rampante. Le matelot s'était apparemment réveillé et avait déplacé la jeune femme endormie pour l'allonger au milieu de la soute. Elle poussa un cri d'effroi et se débâtit avec insistance pour espérer se libérer de l'emprise du marin à l'haleine chargée d'alcool. Il était encore tellement saoul qu'il n'arrivait pas à articuler deux mots avec cohérence, mais il parvenait à maintenir fermement la jeune esclave au sol.

     Elle hurlait, ne craignant plus qu'on ne la découvre dans cette pièce, souhaitant seulement échapper à l'emprise de cet homme dont les cheveux sales pendaient devant son visage. Il ne semblait pas prêt de se détacher d'elle, mais Gonza mit vite fin à ses sinistres envies. Il venait de débarquer en trombe dans la soute et asséna un violent coup de poing dans la mâchoire du matelot qui tomba raide sur le côté et ne se releva pas.

     La jeune femme pu enfin reprendre sa respiration, mais son cœur ne semblait pas prêt à se calmer. Gonza l'attrapa par le bras et la maintint droite. Toujours sous le choc, elle chancela et il l'accompagna délicatement pour qu'elle puisse s'asseoir :

     — Assieds-toi.

     Elle déglutit et essaya de chasser honteusement les larmes qui roulaient le long de ses joues.

     — Il t'a fait du mal ?

     Gonza jeta un regard en biais au marin assoupis tandis que l'esclave secouait fébrilement la tête.

     — Il est bien reparti pour dormir un jour entier.

     Le grand homme à la peau sombre se pencha à la hauteur de la femme qui replaça une mèche de ses longs cheveux de jais derrière son oreille. Il plongea son regard dans le sien, comparant les yeux de la femme à une nuit sombre, ses larmes faisant office d'étoiles. Elle ne détourna pas les yeux, et c'est lui qui en fut gêné le premier.

     — Explique-moi ce qui s'est passé avec le capitaine.

     — Il m'a demandé en mariage, comme tu l'avais prévu, répondit-elle avec sa voix enrouée. Et j'ai accepté.

     Gonza hocha la tête avec conviction :

     — C'est parfait. Tu seras beaucoup plus proche de lui, fais lui croire que tu t'en réjouis d'accord ? Notre plan avance mais il sera bientôt mit à exécution.

     Devant le mutisme de l'esclave, le matelot prit une voix douce :

     — Tu vas encore beaucoup souffrir, je sais. Mais tout sera bientôt finit ! Nous serons enfin sauvés.

     — A quoi bon se tuer à la tâche s'il n'y a plus personne à sauver ? explosa-t-elle. Elles sont mortes, toutes mortes ! Et moi je suis faible, je n'y arriverais pas...

     — Penses-tu vraiment que tu es si faible ? demanda Gonza avec sincérité. Tu as survécu à beaucoup de choses, ta récompense arrive bientôt, ne perds pas espoir.

     Elle hocha la tête en se mordant la lèvre inférieure pour éviter de pleurer à nouveau. Après tout, elle n'était pas faible, et plus jamais elle ne verserait de larmes.    

Origines (Princesse Mononoké)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant