30/ Evasion

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     Elle observa la côte pendant un long moment, à travers la fenêtre de la cabine. Les pirates venaient de débarquer, et ils couraient vers l'intérieur des terres, armes brandies. Ils gravirent une colline, puis disparurent de l'autre côté. Elle se leva alors d'un bond et sortit de la cabine du capitaine. Il devait bien rester quelques matelots à bord pour s'assurer que les captives ne s'échappaient pas. Elle fit le tour du pont d'une marche rapide mais ne vit personne. Elle arriva alors en face du quai. Il lui suffisait de traverser cette fichue planche et de s'enfuir dans un village perdu dans la nature où elle serait seule, tranquille et en sécurité. Néanmoins, elle sentait qu'une présence l'épiait, tapie dans l'ombre, prête à l'achever d'un coup si elle mettait un seul pied hors du navire. Elle prit une grande inspiration et se résigna. Elle fit volte face et se retrouva nez à nez avec Gonza qui la toisait durement. Elle déglutit et il lui saisit le bras pour l'entrainer à l'écart :

     — Dis-moi que tu n'essayais pas de t'enfuir.

     Elle secoua vivement la tête en signe de négation et il la relâcha.

     — Un matelot était en train de te surveiller avec une arquebuse à la main, je suppose que tu ne l'avais pas vu ? Si cela n'avait pas été toi, il aurait sans doute tiré tu comprends ? Mais il préfère ne pas s'attirer les foudres du capitaine.

     Elle tremblait de tous ses membres et hocha de nouveau la tête. Voyant qu'elle était tétanisée, il lui saisit doucement l'épaule :

     — J'ai demandé à rester moi aussi pour vous protéger d'accord ? Je ne vous veux pas de mal j'essaie juste de...

     Il ne pu achever sa phrase car il fut coupé par un violent coup de feu qui résonna sinistrement sur tout le navire silencieux. La jeune femme sursauta et tourna la tête vers l'endroit d'où provenait le bruit. Elle s'apprêta à aller voir ce qu'il venait de se passer mais le grand matelot à la peau matte la retint :

     — Arrête n'y va pas.

     Elle se débâtit faiblement pour qu'il desserre la pression qu'il exerçait sur son poignet.

     — Je vais aller voir.

     Elle se força à attendre, tapie dans un coin du bateau sans personne aux alentours. Une légère brise vit voler ses longs cheveux de jais, et elle se rendit compte qu'elle tremblait. Ce n'était pas à cause du froid, mais à cause de la crainte que le matelot ait atteint sa cible.

     Gonza revint, le visage grave. Elle l'observa, les sens en alerte, et il murmura :

     — Viens, éloignons nous.

     Cette fois-ci, elle ne céda pas :

     — Non, je veux savoir.

     Gonza soupira. Il n'avait aucune envie de lui décrire ce qu'il avait vu. La vision de l'esclave essayant de fuir s'introduisit dans son esprit, puis il vit la balle transpercer son corps frêle. La jeune femme essaya de lui fausser compagnie, jusqu'à ce qu'ils entendent un bruit de vague, signifiant certainement que le corps étaient en train de couler au fond de l'eau. Il vit ses jambes trembler, et son corps s'affaisser sur le sol. Elle prit sa tête dans ses mains et commença à verser de grosses larmes silencieuses. Le bruit du coup de feu ne cessait de résonner dans ses oreilles et lui marteler le crâne. Combien étaient mortes jusqu'à présent ? Personne n'avait pensé à faire le compte. La douleur lui lacérait la poitrine et Gonza finit par s'accroupir devant elle pour mettre un terme à ses larmes :

     — Tu veux t'enfuir ?

     Elle leva ses yeux noirs inondés de larmes vers lui, interloquée.

     — Suis-moi.

     Elle se redressa avec peine, titubant derrière lui, la tête brumeuse. Il ouvrit une trappe, et elle se rendit compte de l'endroit où il l'emmenait. Elle se recula, manquant de trébucher sur une corde :

     — Viens, il n'y a personne.

     Elle secoua la tête avec vigueur et il descendit les marches sans prendre en compte ses angoisses. Elle s'avança à son tour, observant les marches grinçantes qui descendaient dans la pénombre. Elle prit une grande inspiration, puis referma la trappe derrière elle. L'odeur de moisi vint à nouveau lui titiller l'odorat, alors qu'elle mit un pied sur le sol de la soute. Elle ne pu s'empêcher de vérifier précipitamment chaque recoin de la pièce pour s'assurer qu'aucun matelot ne se cachait dans l'ombre, prêt à l'étrangler.

     — Que faisons-nous ici ? demanda-t-elle avec une voix enrouée par le chagrin.

     — On prépare ton évasion.

     — La mienne ? rectifia-t-elle.

     — Et celle de toutes les autres, ajouta Gonza.

     La jeune femme se sentait à l'aise avec lui à présent. Il lui avait assez fait comprendre qu'il ne lui voulait pas de mal. Elle déglutit, à la seule pensée que quelqu'un puisse les découvrir en train de comploter dans cette cave sombre.

     — Et si on nous surprenait ?

     — Notre mort serait plus précoce que prévu.

     Il avait le don d'être franc. Elle continua d'observer la pièce, l'air absent, et il alla allumer une lanterne poussiéreuse qui se trouvait dans un coin. Son visage sévère fut éclairé par la flamme, et elle s'empressa de se rapprocher de cette source de lumière et de chaleur.

     — Il t'aime vraiment tu sais, commença-t-il en s'asseyant sur les lattes de bois miteuses qui faisaient office de sol.

     Elle fit de même, sans répondre. Peut être le capitaine était il vraiment amoureux d'elle, mais jamais elle n'accepterait d'être aimé par un monstre tel que lui.

     — Et toi, tu l'aimes ?

     Elle jeta furtivement un regard noir au matelot qui jugea judicieux de ne pas en rajouter.

     — Bon, dit-il après un certain temps, voilà comment nous devrions procéder...

     — Pourquoi m'aides-tu ? le coupa-t-elle.

     Les yeux de Gonza s'attardèrent sur la peau blanche éclairée de la jeune femme en face de lui. Il regarda ses joues rosées, ses lèvres délicates, son cou mince et ses épaules menues. Il arrêta sa contemplation pour songer. Lui-même ne savait pas vraiment pourquoi il risquait sa vie pour de simples esclaves. Peut être que lui aussi avait succombé aux charmes de la captive au regard sombre, mais comment en être sûr ? Jamais il n'avait ressenti de tels sentiments. S'il avait été un simple pirate Wako comme les autres, il se serait permis de se jeter sur elle pour sentir cette peau si douce sous des doigts, mais il ne pouvait pas. Il était devenu pirate pour ne pas mourir de faim, il était peut être temps de changer de mentalité. Cette femme méritait beaucoup plus qu'une vie comme celle-ci, et il avait envie de la suivre partout où elle irait.

     — Parce que tu mérites de vivre.   

Origines (Princesse Mononoké)Where stories live. Discover now