15/ Dîner

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     Le cœur de la jeune femme tambourinait si fort dans sa poitrine et la tension qu'elle ressentait était tellement à son comble qu'elle cru s'évanouir lorsque la poignée s'abaissa. Bien que l'arme soit cachée sous sa robe à l'abri de tous les regards, elle ne pouvait s'empêcher de se dire que si elle était découverte, c'était la mort assurée qui l'attendait.

     Elle tourna brusquement la tête vers la porte, essayant de masquer la panique qui se lisait dans son regard. Mais qu'espérait-elle faire avec ce compas ? Blesser celui qui la martyrisait ? Le tuer ? Et ensuite ? Elle prit une grande inspiration sachant qu'il était bien trop tard pour reposer l'arme sur l'étagère.

     La tête café au lait du pirate de la soute apparu dans l'embrasure de la porte. Elle fronça les sourcils, et il entra furtivement dans les appartements privés de son capitaine. La porte claqua derrière lui, et elle se sentit très mal à l'aise. Etre seule dans une pièce close avec un homme l'avait toujours horrifié depuis son plus jeune âge.

     - Tu ferais mieux d'être sage si tu veux survivre le plus longtemps possible.

     Cette phrase semblait avoir été dite spécialement pour la situation dans laquelle se trouvait la jeune femme. La coïncidence était troublante. Mais comment pourrait-il savoir ce qu'elle était en train de préparer ? Elle l'avait décidé elle-même à l'instant.

     Il s'approcha plus près d'elle et tendit sa main. Elle se recula par réflexe, ne voulant pas sentir le contact de sa peau contre la sienne, mais il arrêta son geste :

     - Donne-moi ce compas.

     Elle déglutit et regarda cette grande main qui attendait de pouvoir se refermer sur l'arme. Elle hésita un moment, le cerveau brumeux, se demandant si sa dernière heure était arrivée.

     - Tu t'es déjà faite remarquer avec l'incident dans la soute, mais rassure-toi, le pirate qui t'a importuné n'a rien rapporté au capitaine car il était lui-même en faute.

     Elle ne comprenait pas le sens de cette phrase. Cela voulait-il dire qu'il allait, lui, au contraire, la dénoncer ? Elle ouvrit la bouche, mais la referma immédiatement, tremblante, sachant qu'il était inutile de mentir. Elle écarta les jambes et saisit l'arme pointue pour la déposer d'une main hésitante dans celle du pirate. Il la rangea à sa place et se pencha ensuite vers la jeune femme :

     - Ne tente rien seule c'est clair ? Il serait inutile de perdre la vie maintenant tu ne trouves pas ?

     Que voulait dire le mot « seule » ? Insinuait-il qu'elle ferait mieux de préparer une mutinerie avec d'autres esclaves ? Elle n'osait pas le regarder dans les yeux, alors elle hocha la tête en regardant par dessus l'épaule du grand homme pour apercevoir à travers la fenêtre, le capitaine qui poussait la porte.

     - Gonza, qui t'a autorisé à venir ici ?

     - Personne capitaine veuillez m'excuser, mais il m'avait semblé que votre captive essayait de s'éclipser, alors je suis venu m'assurer qu'elle restait bien assise sur cette chaise.

     Le maitre du bateau regarda les deux personnes en face de lui d'un air soucieux et la jeune femme attendit le moment où elle se ferait dénoncer. Pourtant, il ne vint jamais. Gonza s'éloigna et marmonna en sortant :

     - Elle ne faisait que regarder la mer finalement.

     Le capitaine grogna et s'assit à nouveau en face de sa proie. Le diner arriva quelques secondes plus tard, apporté par une esclave qui croisa le regard de la jeune femme qui allait profiter de son repas. Sa gorge se noua lorsqu'elle vit la noirceur des yeux de la cuisinière lui transpercer les entrailles. Elle allait devenir la traitresse parmi ses camarades. Elle était celle qui avait eu la chance de plaire au capitaine.

     Le diner se déroula en silence. La jeune femme s'en voulu, mais elle dévora tout ce qu'on lui présenta, son estomac en raffolant depuis des jours. Elle attendait maintenant qu'il lui autorise de partir continuer ses tâches, les plateaux de nourriture complètements vides devant elle.

     - Ne voudrais-tu pas manger ainsi chaque jour ? Dormir dans un lit ? Ne plus avoir à travailler ?

     La jeune femme savait pertinemment ce que tout cela signifiait. Si elle acceptait, elle acceptait de devenir sa maitresse, ou même pire, de devenir sa femme. Dormir dans un lit signifiait évidement, dormir dans celui du capitaine. Elle voulait échapper à cela. Repousser ce moment le plus longtemps possible. Elle était effrayée, elle n'avait pas le courage de refuser. Pourtant, il le fallait bien.

     Elle secoua la tête en signe de négation. La réaction du chef fut immédiate :

     - Tu n'es qu'une sale impertinente, hurla-t-il en passant dans son dos et en lui tirant les cheveux en arrière. Tu ne saisis pas ta chance, et tu le regretteras amèrement. J'aurais pu être doux et bon avec toi si tu avais accepté, maintenant je te jure que tu souffriras le martyre.

     Elle poussa un faible cri et grimaça à cause de la douleur dans son crâne. Il était encore temps de faire marche arrière et ne pas avoir à subir sa colère à chaque instant, mais elle ne pouvait s'y résoudre, alors elle se tu, et fut jetée dehors par son maitre. Ses journées allaient devenir de plus en plus atroces à présent, en comptant les fureurs du capitaine, et la haine de ses camarades qui venait de naitre, et qui ne se dissiperait pas.     

Origines (Princesse Mononoké)Where stories live. Discover now