58/ Forges

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Ils campaient dans la forêt à la belle étoile, enroulés dans de vieilles couvertures trouées, et Eboshi, dans son long manteau. Dès l'aube, ils reprenaient leur marche. Pas un seul ne se plaignait, et ils progressaient efficacement. Par moment, Eboshi emmenait ses compagnes en haut d'une crête qui surplombait le paysage. D'une main, elle leur désignait les montagnes et les collines qui s'étendaient à pertes de vue, recouvertes de végétation luxuriante où voltigeaient de petits oiseaux chantants.

— C'est près de cette vallée que nous nous installerons.

Leur but se rapprochait de jours en jours. Lorsque le soleil brillait à dessus de leurs têtes, à travers le feuillage dense des arbres, ils s'arrêtaient. Prêtant attention aux moindres sons de la forêt, ils débusquaient un petit ruisseau pour s'abreuver oui suivait les traces d'un animal pour l'abattre et s'en nourrir par la suite autour d'un feu réconfortant.

Ils firent face un jour à une grande colline de terre battue, dépourvue de végétation, mis à part quelques buissons égarés, la pente étant peut être trop importante. Eboshi sentit l'espoir et l'excitation gonfler en elle, et gravit cette petite colline avec empressement.

Au sommet, elle remarqua qu'elle surplombait une sorte de grande crevasse entourée par des crêtes, et qui contenait un petit lac aux reflets bleus et verts. Elle descendit la pente abrupte cette fois-ci, suivie par Gonza et Toki, ainsi que les autres jeunes femmes. Une fois au pied du lac, elle en fit le tour, en inspectant chaque recoin de cet espace naturellement renfermé.

Elle s'arrêta alors sur la berge Sud de l'étendue d'eau et s'exclama :

— C'est ici que nous construirons nos forges !

Les autres ne mirent pas beaucoup de temps avant de se mettre au travail. Certaines furent chargées d'aller acheter des bœufs et des outils au village le plus proche, tandis que les autres imaginaient le plan de leur village. Eboshi circulait entre les rues imaginaires qui se formaient dans son esprit en s'écriant quelques fois :

— Ici se trouvera une grande place avec des torches, entourée de petites cabanes spacieuses et chaleureuses.

— Voici où se trouvera notre auberge !

— Et au centre, nous construirons des forges immenses, pour transformer le fer en outil. Ce sera un bâtiment immense, car nous en avons les moyens.

— Nous avons l'argent, corrigea Gonza, pas la main d'œuvre.

Ceci ne découragea pas Eboshi :

— Faite circuler le message dans tous les villages avoisinants. Je veux que la nouvelle se répande vite, que les gens accourent pour nous aider et vivre à nos côtés. Toki, je compte sur toi.

La jeune esclave hocha la tête en signe d'obéissance et la femme au manteau bleu se tourna vers Gonza :

— Quant à nous, allons inspecter les alentours.

Les journées s'enchaînèrent, et personne ne venait leur prêter main forte. Les femmes ramenaient chaque jour de nouveaux outils, payés au village, puis ils s'en allaient couper du bois. Leur progression était lente. Seul Gonza paraissait efficace avec une hache à la main. Les murs de bois s'empilaient sans pour autant être utilisés car ils n'avaient pas assez de main d'œuvre pour cela.

Eboshi s'impatientait. Leur rêve était-il si dérisoire ? Cependant, elle ne baissa pas les bras.

Un soir, alors que le tas de bois manquait de tomber au fond du lac, l'ancienne esclave rejoignit Toki, assise en tailleurs sur la rive. Les autres mangeaient plus loin, assis autour du feu qui brillait dans l'obscurité.

— Tu regrettes de m'avoir suivi ?

Toki regardait au loin, la colline sombre qui se dressait devant elle, une arquebuse chargée devant ses pieds nus.

— On avance pas, et on y arrivera probablement jamais sans d'autres personnes. Les filles sont fatiguées, elles commencent un peu à désespérer, pourtant, jamais elles ne se plaignent. Malgré tout ceci, elles sont conscientes que vous suivre à été la meilleure décision de leur vie. On se sent libre, acceptées grâce à toutes nos qualités et pas seulement grâce à notre corps. On est pas payées, mais c'est mieux que de gagner sa vie dans une auberge sale et peu fréquentable. On s'amuse, on revit, on ne dépend plus des hommes, on vit au jour le jour et on fait des choses qu'on aurait jamais pu vivre grâce à vous.

Eboshi sourit et saisit l'arme qui trainait devant elle :

— Cette arme est bien lourde pour nous toutes. Lorsque nous aurons nos forges, nous les ferons juste assez légère pour les soulever facilement, et faire en sorte qu'elles n'explosent pas à chaque tirs.

Toki reprit de l'assurance :

— Demain j'irai au village et je leur dirai à tous de faire passer le message à tout le monde ! Il nous faut de l'aide, notre projet se concrétise, nous ne pouvons pas tout abandonner maintenant ! Je dirai que nous sommes riches, très riches, et que nous pouvons encore le devenir avec un peu de main d'œuvre.

Elle se leva d'un bond et tendit sa main et s'exclama :

— Fautes voir cette arquebuse !

Eboshi la lui tendit, les yeux brillant de fierté. Toki positionna l'arme sur son épaule et la tint ferment avec ses deux mains. Un œil plissé, et l'autre grand ouvert, elle appuya sur la détente et le coup de feu partit brutalement. Bien ferme sur ses appuis, elle ne flancha pas, même si l'arquebuse sur son épaule trembla dangereusement.

La jeune femme au kimono rose sourit en voyant sa balle aux reflets rougeoyants s'écraser de l'autre côté du lac.

— On est peut être des femmes, mais on peut se débrouiller comme des hommes. Ce qu'il faut, c'est de l'espoir, et de la détermination. On les montera ces murs, et dès demain !  

Origines (Princesse Mononoké)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant